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Au Mali, l’opposant Soumaïla Cissé porté disparu depuis un mois

Si la piste djihadiste est privilégiée, ce rapt du candidat alors qu’il faisait campagne pour les législatives dans le centre du pays, n’a toujours pas été revendiqué.

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Depuis un mois, le Mali est sans nouvelles de son principal opposant. Soumaïla Cissé, arrivé en deuxième position lors des présidentielles de 2013 et 2018, a été enlevé le 25 mars alors qu’il battait campagne pour le premier tour des législatives. Le rapt s’est produit non loin de son fief électoral de Nianfunké, au centre du Mali. « Je lui ai parlé quelques minutes avant l’enlèvement. Il n’était pas inquiet. Il avait déjà traversé trois villages lorsqu’ils sont partis dans l’après-midi pour Koumaïra », raconte Assa Cissé, l’épouse du président de l’Union pour la République et la démocratie (URD), épuisée par « cette trop longue attente ».

D’après plusieurs récits, le convoi de deux véhicules et d’une petite quinzaine de personnes est tombé dans une embuscade, à moins de 5 kilomètres de sa destination finale. Le véhicule qui transportait M. Cissé a été mitraillé sans sommation. Son garde du corps est mort des suites de ses blessures, deux autres « jeunes » ont été blessés : « l’un d’une balle à la mâchoire qui lui a arraché huit dents, un autre a vu une balle lui glisser sous la peau du ventre », relate un membre du parti. Tous les membres du cortège ont par la suite été libérés, hormis Soumaïla Cissé. Blessé à une main lors de l’attaque, l’homme politique aurait été aussitôt isolé par ses ravisseurs.

Zone de prédilection de la katiba Macina

Très vite, les regards se sont tournés en direction des éléments de la katiba Macina. Les zones rurales de cette partie du pays, où le fleuve Niger se transforme en deltas, sont largement sous la coupe des djihadistes aux ordres du prédicateur Amadou Koufa. Mais, à ce jour, aucun groupe n’a revendiqué le rapt, et ce silence inquiète, tant parmi les proches de l’otage que chez certains habitués des médiations avec les islamistes armés maliens. « Nous ne savons pas qui l’a enlevé. Pourquoi ? Où se trouve-t-il ? Nous sommes dans le flou le plus complet. Nous avons appris dans les médias qu’il aurait reçu de l’eau et des médicaments, mais nous n’avons aucune confirmation officielle », soupire Me Demba Traoré, l’un des membres de la cellule de crise mise en place par l’URD.

« L’absence de revendication est troublante. Nous sommes en train d’étudier toutes les pistes possibles. Il a été enlevé dans la zone où la katiba Macina a une grande influence. Ils ont pu être infiltrés, mais cela reste leur zone de prédilection », ajoute l’imam Mahmoud Dicko, qui en plus de l’équipe montée par les autorités, a proposé ses contacts avec les figures djihadistes du pays pour obtenir la libération de M. Cissé.

Pour l’heure, les premières négociations nouées au niveau local ont échoué. Amadou Kolossi, le maire de Koumaïra, qui devait accueillir le président de son parti à quatre jours du premier tour des législatives, a tenté de faire valoir ses relais locaux pour obtenir la libération, mais, le 9 avril, lui aussi a été kidnappé. « Il avait dit à Cissé que Koufa n’avait aucune objection à ce qu’il vienne faire campagne, mais Koufa n’a jamais donné son autorisation et le lui a fait payer », avance, sous couvert d’anonymat, un notable de la région.

« Cet enlèvement nous oblige à négocier »

Le flou actuel engendre toutes les spéculations, et certains veulent voir derrière l’enlèvement du premier opposant du pays « un mauvais coup » de certains organes des services de renseignement maliens, peu enthousiastes à l’idée de voir les autorités dialoguer avec les djihadistes locaux, comme le président Ibrahim Boubacar Keïta s’y est engagé en février. « Aucun motif d’enlèvement ne nous est parvenu mais, pour ces gens, tomber sur un responsable politique de premier ordre est une aubaine », coupe court une source proche de la médiation engagée par le pouvoir. Selon cette source, qui estime que des éléments décisifs pour la libération de l’homme politique pourraient intervenir sous peu, « il n’y a pas de raison de s’alarmer de l’absence de revendication, celle-ci étant à l’usage du public. Soumaïla Cissé n’est plus dans la zone où il a été enlevé par la katiba Macina. Il est fort possible qu’il soit désormais dans le Timétrine [dans le nord-est du pays] entre les mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM] », organisation ralliée à Al-Qaida, dirigée par Iyad Ag-Ghali, dans laquelle la katiba Macina a fusionné.

De manière plus large, ce rapt, ajouté à la mort de plus de 50 soldats maliens dans deux attaques revendiquées par le GSIM le 1er novembre 2019, repose la question de la volonté réelle d’Iyad Ag-Ghali et de ses affidés de négocier avec Bamako. Directeur de campagne de Soumaïla Cissé lors de la dernière présidentielle, ministre des affaires étrangères depuis qu’il a rejoint les rangs du pouvoir et promoteur de longue date d’un dialogue avec les djihadistes, Tiébilé Dramé juge que « même si nous n’étions pas dans la disposition de négocier, cet enlèvement, odieux et condamnable, nous y oblige. Sinon, comment parviendrions-nous à le faire libérer ? » Selon certaines sources bien informées, le pouvoir malien pourrait, à cet effet, une fois de plus, élargir discrètement des cadres djihadistes emprisonnés à Bamako.

Le Monde-Afrique

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