Politique

[Analyse 2/2] Election en RDC: Félix Tshisekedi face au grand jeu régional

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Tout au long du processus électoral, de dialogues en reports, les pays de la région ont maintenu la pression sur Joseph Kabila pour qu’il renonce à son troisième mandat, jugé trop dangereux pour la stabilité des Grands Lacs. Le 24 janvier 2019, le benjamin des chefs d’Etat de la région a cédé son fauteuil à Félix Tshisekedi, président du parti d’opposition historique, mais conserve la main sur l’essentiel des rouages institutionnels, économiques et sécuritaires. Au Congo, les résultats de la présidentielle sont toujours contestés comme le sont les changements de Constitution et les troisièmes mandats dans les pays voisins. En tournée pour la première fois dans les pays de la région, le nouveau président Félix Tshisekedi va devoir s’imposer face au grand jeu régional pour éviter que la RDC ne redevienne un champ de bataille.

De l’autre côté du fleuve, chez l’autre Congolais Denis Sassou-Nguesso, la situation en République démocratique du Congo est suivie de près. « Nous n’avons pas le choix, quand Kinshasa éternue, c’est Brazzaville qui s’enrhume », aime à rappeler un officiel congolais. Depuis la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila en 2016, le Congo-Brazzaville, mais aussi l’Angola, la Zambie et l’Ouganda ont régulièrement accueilli des vagues de réfugiés, suscitant inquiétudes et consultations. Le maintien au pouvoir de Joseph Kabila, ou même de son dauphin, était perçu comme trop dangereux, mais le cas de Félix Tshisekedi divise, tant il est unique dans l’histoire de la région. « Si Félix Tshisekedi et Joseph Kabila arrivent à contenir la grogne au Congo, certains voisins comme l’Angola ou le Congo-Brazzaville vont naturellement s’apaiser », assure un diplomate de l’Union africaine. Dans la sous-région, les premiers pas du nouveau président sont scrutés.

Le Sud-Kivu, première ligne de front

Pour sa première sortie de Kinshasa, le nouveau président, Félix Tshisekedi, a choisi de se rendre dans des pays de la région. Il cible le Kenya – le président Uhuru Kenyatta était d’ailleurs le seul chef d’Etat présent à son investiture -, mais aussi l’Angola et le Congo-Brazzaville qui ont fini par le féliciter. Pour cette première tournée, le chef de l’Etat congolais évite ses voisins de l’Est. Pourtant, à chaque phase de contestation politique depuis plus de 20 ans, c’est de là que sont parties toutes les grandes rébellions, alternativement soutenues par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda.

« Si les élections ne permettent pas de changer les choses, le peuple congolais risque de se tourner vers d’autres méthodes », ont prévenu Mo Ibrahim, milliardaire et apôtre de la bonne gouvernance, et Alan Doss, l’ancien patron de la mission des Nations unies au Congo (Monusco) et président de la fondation Kofi Annan. Dans une tribune commune, publiée le 1er février 2019, les deux hommes tirent la sonnette d’alarme. En avalisant l’accord passé entre Joseph Kabila et son successeur au détriment de la vérité des urnes, la communauté internationale pense assurer la stabilité du Congo, mais à tort, selon eux. « Il y a déjà des bruits de bottes à l’Est qui a un lourd passé d’insurrection, soulignent-ils. De nombreux voisins de la RDC seront affectés si une nouvelle vague de violence généralisée éclate au Congo. »

Ce n’est pas pour rien si, en octobre 2018, les deux organisations sous-régionales, la Conférence internationale pour les Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), ont demandé à une équipe d’enquêteurs de se pencher sur la situation sécuritaire aux frontières de la RDC, du Rwanda et du Burundi, où les incidents et signes de tension se multiplient depuis trois ans. Ce « mécanisme de vérification élargi », exclusivement composé d’officiers originaires de onze pays de la région et basé à Goma, rend son rapport le 5 novembre 2018.

Pour comprendre ce qui se trame dans la région, l’équipe s’est d’abord rendue à Bukavu pour échanger avec des responsables de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Congo (Monusco). Dans la seule province du Sud-Kivu, leur dit-on, il y a une cinquantaine de groupes armés actifs, dont six étrangers, uniquement rwandais et burundais : « FDLR, FNL, Forebu, Red Tabara, RNC et CNRD ». Mais là, comme dans le reste du pays, les forces de sécurité congolaises restent la principale source de violations des droits de l’homme.

Une guerre Burundi – Rwanda par rébellions interposées ?

Comme à chacune de leurs visites depuis trois ans, les experts militaires de la région se voient présenter de présumés rebelles burundais, arrêtés par l’armée congolaise. Les témoignages sont toujours les mêmes. Cette fois encore, « le rebelle qui se présente lui-même comme Bizumurenyi Pascal » dit avoir séjourné dans un camp de réfugiés au Rwanda avant de rejoindre un groupe de « quelque 850 combattants », entraînés dans le camp de Ndaasho. Ce présumé rebelle leur explique que « la formation a duré trois ans et elle a été délivrée par neuf instructeurs rwandais avec des uniformes similaires à ceux des Forces de défense rwandaises (RDF) », notent les enquêteurs de la CIRGL et de la SADC. L’armée congolaise enfonce le clou : dans cette province du Sud-Kivu, l’état-major congolais assure avoir dénombré 25 combattants étrangers sur les quelque 250 capturés. Parmi eux, il y aurait même une belle prise : « le général David Rukemba, chef militaire des Red Tabara ». C’est le nom de la rébellion burundaise créée par l’opposant Alexis Sinduhije après l’échec des manifestations hostiles au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, en 2015. Kigali est accusé de se servir de ce groupe, comme d’autres, pour déstabiliser le Burundi voisin.

Au quartier général des RDF à Kigali, le « mécanisme élargi » entend une tout autre version de l’histoire. Les officiers rwandais l’assurent : ce n’est pas le Rwanda, l’agresseur, mais l’agressé. « Entre janvier et octobre 2018, des incidents isolés sont rapportés, caractérisés par des attaques de groupes armés depuis les forêts de Nyungwe et Kibira, dans la province du sud frontalière du Burundi, peut-on lire dans ce rapport confidentiel. La présence de groupes armés rwandais dans les pays voisins reste une préoccupation majeure ».

Les officiers rwandais donnent même des estimations des effectifs de leurs ennemis au Congo. Selon Kigali, les FDLR ont encore 1 100 à 1 400 combattants regroupés dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu. Un groupe dissident, le CNRD, les supplanterait même en importance avec 1 300 à 1 600 combattants, éparpillés entre les territoires du Rutshuru, du Masisi et de Fizi. À leur traditionnelle liste de rebelles hutus rwandais, les officiers rwandais ajoutent le RNC, le parti d’opposition dirigé par l’ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise. Kigali assure aux experts de la région que ce parti disposerait de 300 à 500 hommes dans la forêt de Bijombo situé dans le territoire d’Uvira au Sud-Kivu.

Pour Kigali, l’ennemi, c’est aussi le Burundi, accusé de servir de base arrière et d’apporter un soutien aux groupes armés hostiles au président Kagame. C’est aussi ce qu’affirment les anciens combattants, présentés par l’armée congolaise aux experts de l’ONU sur le Congo. Les détenus affirment avoir reçu de l’assistance de Bujumbura des « fournitures, notamment des armes et des munitions, de la nourriture, des médicaments, des bottes et des uniformes du Burundi ». Un officiel burundais confirme à demi-mot, mais se justifie : « Kagame fait bien pire que nous et ça fait trois ans qu’on lui laisse déstabiliser notre pays sans que cela ne suscite de réactions. »

Les ennemis de Kigali ciblés par Kinshasa

Le 17 janvier 2019, sur invitation du rwandais Paul Kagame, président en exercice de l’Union africaine, une dizaine de chefs d’Etat, dont l’Ouganda, l’Angola, le Congo-Brazzaville, la Zambie et l’Afrique du Sud, acceptent de signer un communiqué qui met en doute les résultats de toutes les élections, présidentielle incluse. Sur pression des voisins du Congo, le Rwanda en tête, ils demandent, fait inédit, la suspension de la proclamation des résultats définitifs et promettent de descendre sur Kinshasa pour trouver un « consensus sur une sortie de la crise postélectorale dans le pays ». Joseph Kabila décide de passer outre et au sein du régime congolais, beaucoup blâment le Rwandais Paul Kagame pour cette initiative. Le protocole d’Etat de la présidence congolaise assure que ce dernier n’est pas le bienvenu à la cérémonie d’investiture de Félix Tshisekedi. Plusieurs officiels n’hésitent pas à se réjouir de l’échec de « son énième entreprise de déstabilisation ».

L’apparente brouille diplomatique est bien loin d’empêcher les relations de bon voisinage. Quelques heures à peine après le mini-sommet d’Addis-Abeba, le 18 janvier 2019, les gouvernements congolais et rwandais ciblent les principaux ennemis de Paul Kagame, les FDLR, le CNRD et le RNC et avec eux, les Etats et les politiciens qu’ils accusent d’être leurs soutiens.

Ce jour-là, le ministre congolais de la Défense, Crispin Atama Tabe, écrit à la représentante spéciale du secrétaire général, Leila Zerrougui pour « solliciter l’appui des Forces de la Monusco aux FARDC pour contrecarrer l’élaboration de ce macabre projet qui déstabiliserait encore davantage la sous-région ». Désireux de ne pas être accusé de servir de « base arrière », il évoque un « déplacement de FDLR et de leurs dépendants vers le Sud-Kivu où ils seraient sollicités par le général rebelle Kayumba ». En des termes clairs, il évoque « une coalition pour une action belliqueuse contre le Rwanda depuis la RDC ». Du pain bénit pour Kigali.

Au sein de la Monusco, on s’étonne de voir qualifier de FDLR – un groupe de rebelles hutus rwandais tenus par une poignée de présumés génocidaires – les flots de civils hutus qui fuient les attaques lancées par l’armée congolaise et leurs supplétifs quelques jours à peine avant les élections. Ce sont les combattants du CNRD, dissidents des FDLR, et leurs dépendants qui sont visés par la missive, et la Monusco n’apporte son soutien militaire aux opérations de l’armée congolaise qu’avec parcimonie, surtout quand la vie de milliers de civils, femmes et enfants, est en jeu.

Mandats d’arrêt et extraditions en catimini

Toujours le 18 janvier 2019, le Rwanda émet, de son côté et dans le plus grand secret, une série de mandats d’arrêt internationaux, « en rapport avec les récentes attaques dans le sud du pays ». Ils concernent notamment le général Kayumba Nyamwasa, Callixte Sankara, un ancien du RNC et l’opposant Paul Rusesabagina associés aux rebelles du CNRD, et les deux FDLR, Bazeye Fils Laforge et Théophile Abega. D’habitude prompt à attaquer ses détracteurs, cette fois, Kigali ne communique pas. « Si Paul Kagame a appris qu’il valait mieux monter un dossier que d’envahir le Congo, c’est mieux pour la région », commente un responsable onusien. Mais à Kinshasa, certains redoutent, y compris dans l’entourage de Joseph Kabila, que l’argument sécuritaire développé par le Rwanda serve à nouveau d’excuse pour une nouvelle rébellion ou même invasion du Congo. Dans les rangs de l’UDPS ou de l’UNC qui ont porté la candidature de Félix Tshisekedi, les nombreux détracteurs du président Paul Kagame ne redoutent rien de moins, eux aussi, que la partition longtemps promise. « Si Kagame et Kabila sont de mèche, c’est la vie même de Félix qui est menacée », s’alarme un proche du nouveau président.

Parmi les groupes visés par les mandats d’arrêt lancés par Kigali, seul le RNC n’a jamais revendiqué d’attaques contre le Rwanda. Le parti de Kayumba Nyamwasa rappelle qu’avec d’autres partis d’opposition regroupés dans une plateforme appelée P5, il demande depuis juillet dernier au président Kagame d’ouvrir un dialogue. « Le gouvernement du Rwanda n’est pas prêt à dialoguer, ils cherchent à utiliser le RNC comme un épouvantail pour ne pas avoir à négocier, estime Jean-Paul Turayishimye, l’un des porte-parole du RNC. Ils nous accusent d’être des terroristes, d’avoir des groupes armés en RDC qui n’existent pas ».

Dans la quinzaine de pages du mandat et de l’acte d’inculpation établis contre le général Kayumba Nyamwasa, le parquet rwandais qualifie bien la plateforme P5 d’« organisation terroriste » et insiste sur la complicité de membres des FDU, emprisonnés depuis plus d’un an, accusés d’avoir recruté des combattants et de financer les activités militaires du RNC. Leur présidente, Victoire Ingabire, dément toute participation des FDU et rappelle que Paul Kagame n’hésite ni à tuer ni à fabriquer des accusations contre ses opposants pour les discréditer. « J’en ai été moi-même victime », rappelle l’ancienne candidate à la présidentielle, tout juste graciée après huit années passées en prison à l’issue d’un procès qualifié de politique par les organisations internationales de défense des droits de l’homme.

L’Afrique du Sud et le Rwanda à couteaux tirés

L’Afrique du Sud est l’un des rares pays à avoir soutenu la demande de dialogue formulée par le général Kayumba Nyamwasa et les autres partis d’opposition rwandais. Pour cela, sa ministre des Affaires étrangères, Lindwe Sisulu, avait été traitée de prostituée par un site progouvernemental rwandais, provoquant un nouveau couac diplomatique. Depuis la tentative d’assassinat contre le général Nyamwasa en 2010, en pleine Coupe du monde de football, les relations entre les deux pays sont en dents de scie. Quand Kigali est accusé de soutenir la rébellion du M23 en 2012, l’Afrique du Sud, allié traditionnel de Joseph Kabila, fait partie des pays d’Afrique australe à avoir accepté de placer des soldats sous mandat pour soutenir l’armée congolaise, après l’humiliation de la prise de Goma, l’une des principales villes de l’Est.

Pour l’Afrique du Sud, le général Kayumba Nyamwasa est précieux à plus d’un titre. Quand les soldats sud-africains s’engagent dans les opérations contre le M23, c’est à lui et à son collègue, l’ancien chef des renseignements extérieurs cofondateur du RNC, Patrick Karegeya, que Pretoria fait appel. Les deux anciens proches de Paul Kagame ont toujours été soupçonnés d’avoir instrumentalisé rébellions et groupes armés au profit du régime rwandais. Ils sont les mieux à même d’obtenir des renseignements précieux sur ce que l’Afrique du Sud et bon nombre pays de la communauté internationale perçoivent comme la dernière création de Kigali. L’assassinat de Patrick Karegeya le 31 décembre 2013, dans l’un des hôtels les plus sécurisés d’Afrique du Sud, a entraîné la rupture des relations diplomatiques, Pretoria accusant ouvertement les services rwandais d’être responsables de l’assassinat.

Pour l’avocat du général Kayumba Nyamwasa, Kennedy Gihana, le mandat d’arrêt lancé contre son client est le contre-feu d’une procédure judiciaire qui pourrait exposer « le caractère criminel du régime de Paul Kagame ». Deux jours plus tôt, le 16 janvier 2019, après cinq ans d’inaction, la justice sud-africaine a commencé à auditionner des témoins dans le dossier Karegeya. « Les autorités sud-africaines sont déjà excédées par les manigances de Paul Kagame », explique un diplomate d’un pays de la région. « Le président Cyril Ramaphosa risquait déjà de s’attirer les foudres d’autres pays de la SADC, en prenant une position contraire à celle de l’organisation, certains officiels, dont la ministre, ont été surpris et furieux de découvrir ce mandat d’arrêt quelques heures après Addis. » Selon ce diplomate, qui se dit fin connaisseur de la politique sud-africaine, Pretoria aurait réagi en fournissant au juge en charge du dossier Karegeya une lettre qu’il a lue à l’audience du 21 janvier 2019. C’est ce jour-là que les présidents rwandais et sud-africain auraient dû arriver ensemble à Kinshasa, dit-on, pour convaincre leur homologue congolais de respecter la vérité des urnes.

Quelques heures avant la proclamation des résultats définitifs, Joseph Kabila prend soin d’envoyer un émissaire à Pretoria. Son conseiller diplomatique, l’habile Barnabé Kikaya, est venu, dit-il sobrement, « faire une opération de charme pour l’investiture du nouveau président ». Un officiel congolais assure que le conseiller avait « l’accord de coalition sous le bras ». À sa charge de convaincre le président sud-africain Cyril Ramaphosa de la nécessité de soutenir l’accord de partage du pouvoir avec Félix Tshisekedi, qui serait « vital » pour la stabilité du pays et la survie de Joseph Kabila. « En annonçant la victoire de Martin Fayulu, le président Kabila risquait d’être renversé par ses proches. En annonçant celle de Emmanuel Ramazani Shadary, c’était par la rue », expose sans détour l’officiel congolais.

Un complot pour renverser Paul Kagame ?

Dans les heures qui suivent le sommet d’Addis-Abeba, le chef de l’Agence nationale des renseignements du Congo, Kalev Mutond, s’envole, lui, une nouvelle fois pour Kigali et les deux officiers FDLR, Bazeye Fils Laforge et Théophile Abega, arrêtés quelques semaines plus tôt et que le Rwanda réclamait, sont extradés. Le frère du porte-parole des FDLR, Pierre-Célestin Ruhumuliza, est persuadé que Bazeye Fils Laforge a servi de « monnaie d’échange » pour obtenir l’annulation de la visite des chefs d’Etat à Kinshasa.

Ce qui est sûr, c’est que les services congolais et rwandais chargent les deux rebelles hutus rwandais. Ils accusent notamment le porte-parole des FDLR de s’être rendu en Ouganda et d’avoir mené toute une série de contacts suspects. Bazeye Fils Laforge aurait même confessé avoir rencontré le gendre du général Kayumba Nyamwasa. Frank Ntwali a lui aussi été victime d’une tentative d’assassinat en Afrique du Sud. Plus grave, le porte-parole des FDLR aurait eu une entrevue avec le ministre d’Etat en charge de la coopération régionale, Philemon Mateke, qui se trouve, à son tour, accusé de soutenir le complot contre Kigali.

Les preuves, c’est Kinshasa qui les fournit : la carte de visite de l’officiel ougandais, un laissez-passer établi par les services d’immigration congolais, le 13 décembre, au nom de Nkanka Bazeye Ignace. Et dans le répertoire des téléphones du porte-parole des FDLR figureraient des contacts avec des numéros sud-africains. L’information fait sursauter le porte-parole du gouvernement ougandais, Ofwono Opondo. « Connaissant le ministre Mateke et connaissant son âge, je doute qu’il ait rencontré ce genre d’individus », assure-t-il, s’emportant finalement contre de « faux témoignages », une « habitude » chez les services congolais « peu respectueux des droits de l’homme ».

Une source officielle rwandaise va plus loin dans ses accusations et assure que le président ougandais Yoweri Museveni est lui-même impliqué et qu’il est même « l’un des artisans » de l’alliance contre nature entre le général Kayumba Nyamwasa, ancien de Paul Kagame et les FDLR, un groupe armé qui l’a longtemps accusé d’avoir massacré des millions de réfugiés rwandais au Congo. Le président rwandais Paul Kagame aurait lui-même fait allusion lors de ses vœux début janvier au rôle joué par le Burundi, mais aussi l’Ouganda, en évoquant « certains pays voisins [qui] aident des mouvements armés rwandais FDLR et RNC pour qu’ils viennent déstabiliser le pays ». « L’Ouganda n’a pas de plan pour déstabiliser le Rwanda ou un quelconque pays », martèle Ofwono Opondo, de plus en plus agacé contre les accusations.

L’Ouganda dément toute implication

Si le porte-parole du gouvernement ougandais ne cache pas son exaspération à l’égard de Kinshasa, l’Ouganda ne formule officiellement aucune accusation contre Paul Kagame, lui-même ancien chef des renseignements militaires ougandais, et qui entretient des liens avec l’opposition ougandaise. Au pouvoir depuis 32 ans, Yoweri Museveni a réussi en janvier 2018, non sans contestation, à promulguer la loi supprimant la limite d’âge pour devenir président. Cela lui permet d’être à nouveau candidat en 2021, mais le chef de l’Etat ougandais a de plus en plus d’ennemis. Depuis, Kampala a multiplié les arrestations d’Ougandais et les expulsions de Rwandais, tous accusés d’agir pour le compte de Kigali.

Certains voient dans ce regain de tensions entre les deux pays la main des anciens proches de Paul Kagame, devenus ses meilleurs ennemis. Interrogé sur le rôle du RNC dans le grand ménage opéré par les autorités ougandaises, l’un de ses membres ne dément pas : « Nous avons des amis en Ouganda, nous avons aussi des membres qui ont été kidnappés ». L’opposant rwandais admet à demi-mot : « En quoi ce serait un problème qu’on fournisse à nos amis des informations sur le passé d’agents rwandais qui pourraient être impliqués ? » Il ne dément pas non plus d’éventuels contacts avec des rebelles hutus rwandais. « Parler ne veut pas dire collaborer. On parle même avec des gens au sein des RDF ou du M23 », justifie ce partisan de Kayumba Nyamwasa. Ce dernier jure en revanche que sa coalition ne mène aucune attaque contre le Rwanda. « Je ne peux pas cacher qu’on en parle, mais on n’a ni les moyens ni la volonté d’attaquer le Rwanda, ce sera la dernière extrémité », assure cet opposant au régime de Paul Kagame.

Les germes d’un conflit régional ?

Ces discours, on les entend aussi de plus en plus dans la bouche d’opposants burundais, rwandais ou même congolais qui ne voient plus ni dans les élections ni dans la contestation pacifique les moyens de changer de gouvernance. Certains ont déjà franchi le pas, comme les Burundais Alexis Sinduhije et Hussein Radjabu et même le Rwandais Paul Rusesabagina, le patron de l’Hôtel des mille collines qui pendant le génocide a sauvé des centaines de Tutsis et qui aujourd’hui s’allie aux rebelles hutus du CNRD. D’autres personnalités sont, elles, éternellement soupçonnées de se préparer à la lutte armée, comme le général rwandais Kayumba Nyamwasa ou d’anciens rebelles congolais, Jean-Pierre Bemba et Mbusa Nyamwisi, devenus opposants et alliés de Martin Fayulu, et surtout les éternels insurgés, Laurent Nkunda et Sultani Makenga. La plupart ont leurs entrées à Kampala. La violence des combats et les attaques répétées contre les casques bleus dans le territoire de Beni ces derniers mois ont renforcé les suspicions.

Dans les ambassades à Kinshasa, comme dans les chancelleries occidentales, on gère la question congolaise au jour le jour. « Félix Tshisekedi a déjà beaucoup à faire s’il veut apaiser la grogne sociale et diffuser les tensions ethniques, souligne un diplomate. Et il a Joseph Kabila et tout l’appareil sécuritaire dans le dos qui sont pour la plupart issus de l’AFDL et complices de certains des crimes commis par l’armée rwandaise au Congo. » Le nouveau président congolais a promis de ne pas faire de « chasse aux sorcières », avant d’être proclamé président. Son parti lui demandait il y a quelques mois encore « de renvoyer Joseph Kabila au Rwanda », c’était l’un des chants les plus populaires au sein de l’UDPS. C’est aussi en chanson que certains parmi les partisans de l’opposant Martin Fayulu n’ont pas hésité lors de son dernier meeting à lui demander des armes. D’autres ont menacé de s’en prendre à la communauté de Félix Tshisekedi.

Face à tous ces risques internes, certains au sein des Nations unies regardent avec inquiétude la montée de tensions entre les quatre principaux pays protagonistes des deux guerres du Congo. Tous ont une propension à instrumentaliser des groupes pour venir à bout de leurs ennemis et mettre la main sur les richesses du pays. « Aucun de ces chefs d’Etat, pas même Kabila, ne veut lâcher le pouvoir. Aucun ne peut souhaiter la réussite de Félix Tshisekedi et d’une véritable alternance pacifique du pouvoir », commente un responsable onusien. Un autre renchérit : « A un moment ou à un autre, l’un de ces Etats va s’énerver et une véritable rébellion verra le jour ». Et toute la stabilité de la région sera de nouveau menacée.

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