En RDC, l’ex-chef de guerre Jean-Pierre Bemba devient ministre de la défense

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Condamné en 2016 pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » par la Cour pénale internationale, Jean-Pierre Bemba a été acquitté en 2018 en appel. Sa nomination au gouvernement de RDC est une surprise.

A huit mois de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, candidat à sa succession, se met en ordre de bataille. Le remaniement ministériel annoncé dans la nuit du 23 au 24 mars se lit au travers de ce prisme électoral. Certes, Jean-Michel Sama Lukonde reste premier ministre. Mais la nouvelle équipe s’enrichit du retour sur le devant de la scène de plusieurs poids lourds de la politique congolaise aux carrières tumultueuses, dont certains ont été poursuivis par des juridictions nationales ou internationales.

Ainsi en est-il du nouveau vice-premier ministre et ministre de la défense, Jean-Pierre Bemba, célèbre en RDC mais dont la nomination a constitué une surprise tant il semblait marginalisé politiquement récemment. « Est-ce qu’on peut dire que la page d’un homme politique est définitivement tournée ? J’en sais quelque chose… », déclarait-il allusivement dans un entretien accordé, en 2022, à la chaîne française France 24. Quatre ans auparavant, il tournait encore en rond dans une cellule de la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye, où il aura passé dix ans (2008-2018) de sa vie. Jusqu’à ce que les juges internationaux l’acquittent en appel.

Ce fils de Jeannot Bemba Saolona, un puissant homme d’affaires congolais qui fut le patron des patrons de RDC, avait été condamné en première instance par la CPI à dix-huit ans d’emprisonnement pour des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité » commis par ses troupes en République centrafricaine en 2002. A l’époque, Jean-Pierre Bemba était à la tête d’une organisation politico-militaire, le Mouvement de libération du Congo (MLC), soutenue et armée par l’Ouganda. Il combattait alors le président congolais Laurent-Désiré Kabila (1997-2001), contrôlait un fief s’étendant entre le nord et l’est du pays.

« J’ai appris à être plus patient »

Lorsque Joseph Kabila prend la succession de son père, en 2001, Jean-Pierre Bemba troque sa casquette de chef de guerre pour un costume de vice-président de la République à la faveur de négociations de partage du pouvoir. Mais Kabila et Bemba se détestent. En 2006, leur rivalité dans les urnes tourne en faveur de Joseph Kabila. Les deux camps s’affrontent dans Kinshasa. Jean-Pierre Bemba doit s’exiler. Inculpé par la CPI, il est arrêté.

Quand il rentre en RDC en 2018, cet animal politique tente de rattraper le temps perdu. Dans la foulée, il annonce sa candidature à la présidentielle prévue quelques mois plus tard. La foule immense venue l’accueillir à l’aéroport de N’djili le conforte dans son ambition, mais sa candidature est finalement rejetée. « J’ai appris à être plus patient, le temps vous y contraint », disait-il à sa sortie de prison, tout en rappelant son « expérience dans la gestion et la sécurisation des territoires ».

D’abord dans l’opposition, il rallie la majorité de Félix Tshisekedi fin 2020. Cet homme imposant et charismatique n’a eu de cesse d’éviter la lumière ces dernières années. Il conseille le président congolais, mais reste discret et n’hésite pas à critiquer en coulisses certains des choix du président, dont la gestion de la crise dans l’Est.

Voici désormais Jean-Pierre Bemba face à ses responsabilités. Il a un temps laissé planer le doute sur sa candidature à la présidentielle, dont la date a été fixée au 20 décembre 2023, mais a accepté de se saisir, dans l’immédiat, du dossier le plus complexe du pays. Une « campagne électorale coûte cher et l’ancien chef de guerre doit se reconstituer un trésor », glisse un observateur à Kinshasa.

Un risque politique

Depuis la nouvelle offensive du Mouvement du 23 mars (M23) en novembre 2021, la crise dans l’est de la RDC est au cœur des tensions nationales et régionales. Pour tenter d’apaiser la situation, Bemba pourra compter sur son influence sur une partie de l’armée et sur sa réputation de tacticien. Il a aussi des réseaux régionaux, du président ougandais, Yoweri Museveni, à Uhuru Kenyatta, l’ancien président kényan, médiateur en RDC. Mais en repassant en première ligne, Jean-Pierre Bemba prend un risque politique face à l’ampleur de la tâche. « Sa popularité, y compris dans son fief de la région de l’Equateur [Nord], n’est plus ce qu’elle était », poursuit l’observateur. Cette nomination est bien moins risquée pour Félix Tshisekedi, qui s’assure de la fidélité de cet allié à neuf mois de la présidentielle, alors que le scrutin se jouera en partie sur l’évolution de la crise dans l’est du pays.

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