Politique

Kenya : la Cour suprême annule l’élection présidentielle

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Saisie par l’opposition, la justice a invalidé la victoire d’Uhuru Kenyatta en raison d’« irrégularités » lors de l’élection du 8 août. Un nouveau scrutin doit avoir lieu dans les 60 jours.

Coup de tonnerre à Nairobi. La Cour suprême du Kenya a annoncé vendredi 1er septembre l’invalidation de la victoire du président sortant Uhuru Kenyatta, réélu lors du scrutin du 8 août avec 54,27 % des voix contre son adversaire, l’opposant Raila Odinga, qui avait obtenu 44,74 % des suffrages. L’opposition a salué la « décision historique » de la Cour suprême.

Le président de la Cour suprême, David Maraga, a déclaré que les élections n’avaient « pas été conduites en accord avec la Constitution »« A la question de savoir si les illégalités et irrégularités ont affecté l’intégrité de l’élection, la Cour est d’avis que c’est le cas », a-t-il ajouté. Par conséquent, il a déclaré les résultats « invalides et nuls »

Le juge a soutenu que la Commission électorale (IEBC) a « échoué, négligé ou refusé » de conduire les élections en accord avec la Constitution, évoquant des irrégularités dans la transmission des résultats. Un nouveau scrutin doit donc être organisé sous soixante jours. La décision n’a pas été consensuelle : celle-ci a été prise à la majorité et deux des sept juges de la Cour suprême ont annoncé publiquement leur opposition au verdict. Le jugement complet et détaillé, pointant l’ensemble des irrégularités et désignant les éventuels responsables, doit être rendu sous vingt-et-un jours.

« Un jour historique »

« C’est un jour historique pour le peuple kényan et par extension pour les peuples du continent africain », a déclaré M. Odinga, précisant que l’invalidation d’une élection présidentielle par un tribunal était une première sur le continent. M. Odinga a ajouté qu’il n’avait « plus confiance » dans la Commission électorale actuelle. Le président de l’IEBC, Wafula Chebukati, a refusé de démissionner et a annoncé son intention « de procéder à des changements internes de personnel » et « d’enquêter et poursuivre » ceux qui auraient commis des fautes.

De leur côté, les avocats du président sortant ont qualifié cette annulation par la Cour suprême de décision « très politique », mais disent aussi qu’il « pourront vivre avec ses conséquences. » Pour un député du camp de Kenyatta, Ahmednasir Abdullahi, la Commission électorale n’a rien à se reprocher, ajoutant que la décision de la Cour suprême devait néanmoins être respectée.

Uhuru Kenyatta, lors d’une adresse en direct sur les chaînes de télévision, s’est dit « en désaccord » avec la décision de la Cour suprême, tout en affirmant la « respecter ». « Nous sommes prêts à retourner devant le peuple, avec le même programme : l’unification de ce pays, la construction d’un parti politique national et le développement de la nation. […] Nous ne sommes pas en guerre […] votre voisin reste votre voisin », a-t-il déclaré, appelant tous les Kényans à se « serrer la main »

Lire aussi :   Kenya : les raisons du revirement de Raila Odinga

A l’extérieur de la Cour suprême, autour de laquelle un important dispositif policier avait été déployé, l’annonce a été accueillie par des cris de joie des partisans de Raila Odinga et de sa coalition, la Super Alliance Nationale (NASA). Depuis le 8 août, celui-ci dénonçait des fraudes massives, et, le 18 août, la NASA avait déposé un recours devant la Cour suprême pour contester les résultats.

De nombreuses voix s’étaient élevées pour demander à Raila Odinga de contester le résultat du scrutin devant les tribunaux, et non dans la rue, afin d’éviter une répétition des violences interethniques de 2007 consécutives à un autre vote présidentiel et qui avaient fait plus de 1 200 morts et 600 000 déplacés.

« Maturité démocratique »

« Ce jugement de la Cour suprême est une excellente décision, commente Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham et spécialiste du système électoral kényan. Elle montre qu’en Afrique, on ne se satisfait pas seulement de savoir qui est le vainqueur d’un scrutin, mais aussi de savoir si la Constitution et la loi électorale ont bien été respectées. Cela pose néanmoins de nombreuses questions. Comment faire pour que le prochain scrutin soit plus équitable ? Comment l’organiser en seulement soixante jours ? Faudra-t-il changer tous les membres de la Commission électorale, comme le demande Odinga ? Peut-être faudra-t-il que Kenyatta et lui se réunissent pour revoir tout le calendrier du scrutin. »

« C’est une décision historique, une première en Afrique », continent traversé de crises électorales plus ou moins violentes, abonde Murithi Mutiga, du centre d’analyse International Crisis Group, rappelant que M. Odinga avait été débouté par cette même Cour suprême – alors composée d’autres juges – lors d’une précédente défaite à l’élection présidentielle, en 2013 : « Cela veut dire que le Kenya, une des sociétés les plus ouvertes d’Afrique, gagne en maturité démocratique. Cela veut aussi dire que, désormais, l’opposition peut se tourner vers la justice et partir du principe qu’elle sera équitable. »

Pour Amnesty International, cette décision prise dans un pays où les accusations de fraudes électorales accompagnent chaque scrutin « démontre l’indépendance du système judiciaire kényan et montre l’exemple au reste du monde ». Le jugement « renforce la Constitution »progressiste adoptée en 2010, mais « va aussi soulever de nombreuses questions au sujet des observateurs électoraux étrangers, qui avaient massivement salué la bonne tenue du scrutin », relève par ailleurs un diplomate africain, sous couvert de l’anonymat.

Procès-verbaux non signés

Devant la Cour suprême, les avocats de l’opposition avaient estimé que le processus de compilation et de vérification des résultats avait été marqué par des erreurs et incohérences « délibérées et calculées », destinées à gonfler le nombre de voix de M. Kenyatta et à diminuer celui de M. Odinga. Ils avaient notamment reproché à l’IEBC d’avoir trop tardé à publier de nombreux procès-verbaux de bureaux de vote et circonscriptions, les seuls à faire légalement foi. Ce laps de temps avait pu, selon eux, permettre leur falsification.

L’opposition avait obtenu d’accéder à certains documents originaux de l’IEBC, dont les procès-verbaux, ses serveurs informatiques et les données GPS des kits de reconnaissance biométrique des électeurs. Cela avait permis à ses avocats de pointer du doigt des procès-verbaux non signés ou d’autres ne présentant pas les signes d’authentification prévus par l’IEBC, autant d’irrégularités portant selon eux sur plus de 5 millions de votes.

L’IEBC avait reconnu avoir décelé quelques « erreurs humaines commises par inadvertance ». Mais elle avait assuré les avoir corrigées et les considérait comme trop marginales pour avoir influé sur le résultat global. Elle avait appelé la Cour suprême à ne pas remettre en cause la souveraineté du peuple.

Les avocats de M. Kenyatta avaient quant à eux estimé que le large écart de voix entre le président et son rival (plus de 1,4 million de voix) et les gains significatifs obtenus par le parti au pouvoir Jubilee lors des élections des gouverneurs, sénateurs et députés, le même jour, ne laissaient planeraucun doute sur sa victoire.

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