Très influents dans leurs communautés, les chefs traditionnels dans ce pays sahélien sont des leviers incontournables pour mener la transition démographique voulue par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA).
Dans la majestueuse salle Mahatma Gandhi de Niamey, la capitale nigérienne, Bety Aichatou Habibou Oumani modère fièrement un panel sur le mariage des enfants, ce lundi 22 novembre, devant les leaders traditionnels de son pays, parés de leurs grands boubous et autres ornements marquant leurs rangs et titres.
Militante reconnue des droits des femmes, cette présidente du Conseil national de régulation de la poste et des télécommunications (CNRTP) n’aurait pas été à cette posture si ses parents n’étaient pas déterminés pour lui permettre d’échapper « à deux reprises au mariage précoce », il y a une quarantaine d’années de cela dans son village.
Mais beaucoup de jeunes filles n’ont pas sa chance au Niger où près de huit filles sur dix se marient avant 18 ans, soit un taux de 77%. Dès lors, elles se retrouvent, pour l’essentiel, hors du système éducatif, déplore le chef de l’Etat Mohamed Bazoum, venu présider le Symposium international organisé par l’UNFPA pour la mobilisation des leaders traditionnels autour de la transition démographique.
« Le poids démographique, il faut le dire, nous empêche de renforcer le développement de notre capital humain en assurant l’accès de nos compatriotes aux services sociaux (éducation, santé…) et en facilitant l’accès de chacun à un emploi décent. Tenant compte de cette situation, je relevais dans mon discours d’investiture, que notre plus grand défi réside dans les faiblesses de notre système éducatif parce que le faible taux de scolarisation et le taux élevé des échecs scolaires ont pour effet de priver des contingents d’enfants et de jeunes, de réelles chances d’éducation », a indiqué le successeur de Mahamadou Issoufou, arrivé en février dernier au pouvoir et inscrivant dans ses principaux chantiers « l’optique de faire de nos actifs démographiques des dividendes économiques ».
Stratégie et actions
C’est donc tout le sens de cette rencontre initiée par l’UNFPA, qui entend accompagner les nouvelles autorités du pays pour « rompre le cercle vicieux du surnombre d’enfants non éduqués constituant un frein au développement et à la croissance économique ». Le Niger se caractérise par un taux de croissance démographique de plus de 3% par an, une population dont la moitié est âgée de moins de 15 ans et qui double tous les 18 ans, a souligné M. Bazoum.
Pour réussir alors sa mission, le Fonds onusien mise depuis 2012 sur un « partenariat stratégique » avec la chefferie traditionnelle incarnée par l’Association des chefs traditionnels du Niger (ACTN), une institution séculaire régie par des textes. Dans ces rapports, les interventions dans les chefs-lieux ou cantons visent trois objectifs spécifiques : mettre fin au mariage des enfants, renforcer la scolarisation et le maintien des filles à l’école et appuyer la planification familiale et le bien-être de la famille.
En guise d’exemple, le chef du canton d’Illéla (sud), l’honorable Yacouba Hamidou Amadou, dit avoir vaincu le mariage précoce. Dans sa zone, il a constaté que certains parents profitaient surtout des vacances scolaires pour marier leurs enfants et donc abréger les études de celles-ci. Des responsables communautaires comme lui n’ont pas hésité alors à annuler ces mariages avant de renvoyer les filles concernées dans leurs classes.
Ces efforts, parmi tant d’autres pour la transition démocratique, ont été couronnés en juin 2017 à New York par le prix international United Population Awards que l’ACTN a reçu des mains de la Nigériane Amina J. Mohamed, Vice-secrétaire générale des Nations unies.
La voix de l’islam
Mais au-delà des chefs traditionnels, la Directrice exécutive adjointe de l’UNFPA, la Guinéenne Dr Diéné Keita, indique que les chefs religieux ont un rôle à jouer dans l’interprétation des textes puisqu’ils sont « la lanterne qui doit éclairer sur les droits de la femme en islam ». Et d’après Hamed Mohamed Abdelhamid, imam d’Al Azhar en Egypte, parmi les nombreux invités étrangers, « le mariage des enfants contredit la loi islamique ».
En effet, la Sunna prophétique interdit de marier les jeunes filles avant leur maturité et sans leur consentement de la même façon qu’il « est permis de définir un âge minimal pour le mariage », a-t-il noté.
Par ailleurs, ce symposium qui se referme ce mardi a été marqué par cette boutade du président Bazoum adressée aux chefs de cantons, les appelant à prendre une résolution par laquelle ils s’engagent « à ce que nul chef de canton, nul sultan, nul chef de groupement ne prenne comme épouse une fille âgée de moins de 18 ans ». La salle était hilare !