Tribune du Ministre NIANG sur le financement du développement en Afrique

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TRIBUNE

L’actionnariat populaire : une réponse africaine au déficit de fonds propres et à la dépendance financière

Dans les débats sur le financement du développement en Afrique, une vérité s’impose avec force : ce n’est pas la dette qui manque, mais les fonds propres. La plupart des projets, même les plus pertinents, échouent non pas faute de prêts, mais parce qu’ils ne disposent pas de l’apport initial exigé par les banques ou les bailleurs.
Pourtant, l’Afrique a en main un levier puissant, encore trop peu utilisé : l’actionnariat populaire, c’est-à-dire l’investissement direct des citoyens dans les entreprises et projets structurants.

Le PMU-Mali : un exemple malien pionnier et réussi

Le Mali a déjà démontré que ce modèle est possible, performant et duplicable.
Un exemple concret l’illustre parfaitement : la création du PMU-Mali, à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer.

Lorsque nous avons conçu cette société, deux innovations majeures ont été introduites :

1. L’actionnariat populaire pour mobiliser 25 % des fonds propres

Au lieu d’attendre un financement extérieur ou de solliciter lourdement le budget national, nous avons ouvert le capital aux citoyens.
Résultat :
• 25 % des fonds propres ont été mobilisés par les Maliens eux-mêmes,
• l’entreprise a démarré avec une base capitalistique solide,
• la gouvernance a gagné en transparence,
• l’entreprise a bénéficié d’un soutien social et politique naturel, car elle appartenait au peuple.

2. L’apport en nature d’un actif immobilier de l’État

L’État n’a pas déboursé un franc de trésorerie.
Il a apporté comme capital un bâtiment public abandonné, l’ancien dispensaire des fonctionnaires en plein centre-ville de Bamako. Après expertise, cet actif a été valorisé et inscrit au capital social.

Cet apport en nature a permis :
• de renforcer significativement les fonds propres,
• d’éviter une sortie de cash public,
• de réhabiliter un patrimoine immobilier qui dépérissait,
• de donner à la société un siège fonctionnel et stratégique.

Aujourd’hui, le PMU-Mali fonctionne bien, contribue au budget de l’État et constitue un exemple emblématique d’innovation financière malienne, basée sur des instruments simples, modernes et souverains.

Cet exemple prouve qu’il n’est pas nécessaire d’attendre des “solutions extérieures” pour créer des institutions solides : nous pouvons les bâtir nous-mêmes en valorisant ce que nous possédons déjà.

L’actionnariat populaire : un outil puissant pour résoudre le déficit de capital en Afrique

Le manque de fonds propres est le plus grand frein au financement du développement en Afrique. Les banques exigent souvent 20 à 30 % d’apport initial.
Or la majorité des promoteurs et des États ne disposent pas d’un tel capital.

L’actionnariat populaire répond précisément à ce défi.

1. Il élargit la base de capital disponible

Un million de citoyens qui investissent chacun 10 000 ou 20 000 francs CFA peuvent mobiliser des milliards, sans dépendre d’un bailleur.

2. Il réduit la dépendance vis-à-vis des partenaires extérieurs

Lorsque les citoyens forment la base du capital, les bailleurs ne dictent plus la stratégie :
le centre de gravité du projet reste africain.

3. Il démocratise la propriété et renforce la transparence

Lorsque des milliers de citoyens sont actionnaires :
• les dirigeants rendent des comptes,
• les prédations deviennent plus difficiles,
• les entreprises gagnent en légitimité,
• l’économie devient plus inclusive.

4. Il transforme l’épargne dormante en capital productif

L’Afrique compte :
• plus de 200 milliards USD d’épargne informelle,
• plus de 100 milliards USD d’épargne annuelle de la diaspora,
• plus de 350 milliards USD d’actifs de fonds de pension.

Mais très peu de cette épargne finance des infrastructures, des industries ou des innovations.

L’actionnariat populaire permet de canaliser cette richesse vers :
• les chemins de fer à grande vitesse,
• la navigation fluviale,
• les zones industrielles,
• les centrales solaires,
• les plateformes agricoles et minières,
• les hôpitaux modernes,
• les écoles d’ingénieurs.

Valoriser les actifs publics : le deuxième pilier de la souveraineté financière

L’expérience du PMU-Mali l’a démontré :
les États africains disposent d’actifs considérables(immeubles, terrains, réserves minières, sites stratégiques ) mais sous-exploitent leur valeur économique.

Par l’expertise et la valorisation comptable :
• un bâtiment peut devenir du capital ;
• un terrain peut garantir une dette ;
• une réserve minière peut servir d’apport aux projets ;
• un site portuaire ou fluvial peut être inscrit comme actif stratégique.

Ce mécanisme permet d’accroître rapidement les fonds propres sans ponctionner les budgets publics, tout en professionnalisant la gestion des biens de l’État.

Quelle stratégie pour l’avenir ?

L’Afrique peut transformer profondément son architecture financière en combinant :

1. L’actionnariat populaire

pour élargir la base des fonds propres.

2. La valorisation des actifs publics

pour capitaliser les banques de développement et renforcer le capital des projets stratégiques.

3. Les plateformes régionales d’investissement citoyen

pour permettre aux populations et à la diaspora d’investir dans les grands projets AES, UEMOA et africains.

4. Les SPV (Special Purpose Vehicles) africains

pour financer chaque projet structurant avec un capital ouvert : État + citoyens + diaspora + fonds de pension + secteur privé.

5. Les banques de développement régionales capitalisées par actifs

une innovation puissante pour financer :
• les autoroutes ferroviaires,
• les ports fluviaux comme Ambidedi,
• les barrages,
• les réseaux d’irrigation,
• les industries minières et agricoles.

Conclusion : l’Afrique peut financer son développement par elle-même

L’exemple du PMU-Mali, fondé sur deux innovations(actionnariat populaire et capitalisation par actifs immobiliers ) démontre que ces solutions fonctionnent en Afrique, qu’elles sont réalistes, et qu’elles peuvent être étendues à des projets beaucoup plus ambitieux.

Nous n’avons pas besoin d’attendre que les solutions viennent d’ailleurs.
Nous pouvons bâtir nous-mêmes, avec nos propres ressources, un modèle financier africain original, inclusif et souverain.
Le capital africain existe,  suffit maintenant de l’organiser, de le mobiliser et de le valoriser.

Harouna Niang
Ancien Ministre

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