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Coronavirus : les milliardaires africains encore peu enclins à une mobilisation continentale

Mardi 7 avril, l’Union africaine a d’ailleurs officialisé la création d’un fonds de réponse au Covid-19 destiné à gérer les dons escomptés des grandes fortunes du continent.

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A Johannesburg, capitale économique de l’Afrique du Sud, confinée. Themba Hadebe / AP

Face à la pandémie liée au coronavirus, milliardaires et philanthropes africains se font pour l’heure plutôt discrets, hésitant à mobiliser leurs ressources et leurs fondations pour soutenir la lutte contre le Covid-19 à l’échelle continentale. Leurs discours panafricanistes semblent avoir laissé place au financement d’actions nationales, chacun dans son pays. Au grand dam de l’Union africaine (UA), qui tente non sans mal d’inciter ces tycoons à financer ses efforts. « Il faut mobiliser l’argent et l’expertise africaine », souligne ainsi le chef de l’Etat sud-africain, Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’UA. Mardi 7 avril, l’organisation panafricaine a d’ailleurs officialisé la création d’un fonds de réponse au Covid-19 destiné à gérer les dons escomptés des grandes fortunes du continent, en prévision d’une flambée potentielle de cas.

L’UA et son Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Africa) viennent ainsi de nouer un partenariat public-privé avec AfroChampions, une organisation d’entrepreneurs influents, chargée de structurer techniquement ce nouvel instrument financier. Reste à alimenter ce fonds des 150 puis 400 millions de dollars de dons volontaires que pourraient faire les acteurs du secteur privé, selon les objectifs affichés. Dans l’espoir de « répondre aux besoins immédiats en matière de prévention de la transmission [puis, de] soutenir une réponse médicale durable à la pandémie ». Le virus a déjà causé la mort de 500 personnes sur les plus de 10 000 infectées en Afrique.

Des dons nationaux

Peu à peu, la mobilisation se dessine. Coprésident d’AfroChampions, l’industriel nigérian, Aliko Dangote, homme le plus riche d’Afrique avec une fortune estimée à plus de 7 milliards de dollars, s’est engagé à contribuer à ce fonds, de même que le milliardaire égyptien, Naguib Sawiris, et le magnat sud-africain des mines, Patrice Motsepe. D’autres, contactés par l’UA, désespérément insistante, louvoient encore, ou se contentent de communiquer sur d’éventuelles promesses de dons qui ne se concrétisent pas encore.

« C’est à la fois étrange et décevant. Pour l’instant, on ne voit pas véritablement de solidarité des grands hommes d’affaires au niveau continental », constate Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif de l’Agence de développement de l’UA. Cet ex-premier ministre du Niger (1997-2000) enchaîne depuis quelques jours les conversations téléphoniques avec des milliardaires africains qu’il sensibilise à la gravité de la crise et au manque de moyens pour enrayer l’épidémie. « J’espère qu’ils vont se décider à agir, non plus seulement au niveau national mais directement à travers l’UA, dit-il. Car aucun pays ne pourra s’en sortir seul. Il faut penser des solutions régionales à l’échelle du monde. »

Pour les dirigeants de l’UA qui se préparent dans l’urgence et l’angoisse à une très probable propagation du virus, combler les réductions drastiques de l’aide des partenaires internationaux et les fragilités de certains Etats membres aux systèmes de santé exsangues est un immense défi. Ils ont lancé des appels aux dons à la communauté internationale estimant que près de 150 milliards de dollars sont nécessaires dans l’immédiat. La Banque africaine de développement vient d’annoncer la création d’un fonds doté de dix milliards de dollars mmis à la disposition des gouvernements.

Dans ce contexte, l’initiative du Fonds de réponse au Covid-19, incertain de réunir 400 millions de dollars auprès des oligarques, industriels et autres opérateurs économiques les plus nantis d’Afrique, n’apparaît que comme une modeste contribution. Reste que c’est aussi une question de principe, de « dignité africaine » ; une manière d’éprouver la sincérité de la rhétorique panafricaniste de ces grandes fortunes qui ont pris l’habitude de se présenter comme des penseurs visionnaires, des porte-parole et des bienfaiteurs de leur continent. « Nous devons mettre en place une force de frappe autonome », a déclaré le président Ramaphosa.

Jack Ma à la manœuvre

Jusque-là, c’est un homme d’affaires étranger, le chinois Jack Ma, classé vingtième fortune mondiale, qui s’arroge le rôle de premier philanthrope. Avec sa fondation éponyme et le soutien du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed (prix Nobel de la paix 2 019), le milliardaire chinois a mis au point une stratégie efficace d’acheminement de millions de masques, de kits de test diagnostique et de combinaisons de protections vers les pays africains. Ses dons, réceptionné fin mars à Addis Abeba par le CDC-Africa, ont ensuite été redistribués dans tous les pays du continent par des avions de la compagnie Ethiopian Airlines avec le soutien logistique des Nations unies. Une deuxième livraison de matériel médical et d’équipements est actuellement en cours.

« C’est à la fois formidable et, en même temps, c’est presque humiliant de voir que l’on dépend de l’aide d’un philanthrope étranger. Que font nos milliardaires africains, leurs groupes et leurs fondations ? Pour Ebola, ils avaient répondu présent », confie un diplomate de l’UA. Fin 2014, les milliardaires nigérian, Aliko Dangote, sud-africain, Patrice Motsepe, ou encore le Zimbabwéen, Strive Masiyiwa, avaient largement contribué, avec d’autres grands groupes africains, à financer l’effort de l’UA contre l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (11 300 morts entre 2014 et 2016). Douteraient-ils cette fois de la capacité de l’UA à coordonner une réponse continentale à la crise du Covid-19 ? Ce qui les amènerait à privilégier pour l’instant, les dons de dizaines de millions de dollars aux gouvernements de leurs pays respectifs.

C’est la stratégie à l’œuvre. Au Nigeria, M. Dangote cornaque d’autres compatriotes milliardaires au sein de la « coalition contre le coronavirus », en partenariat avec la Banque centrale. Ils ont déjà réuni plus de 60 millions de dollars. En Afrique du Sud, M. Motsepe, lui, a versé 57 millions de dollars au gouvernement. Au Zimbabwe, M. Masiwiya règle une partie des salaires du personnel soignant, leur fournit protections et assurance. En face, l’UA peine à inverser cette tendance à un repli national des dons du secteur privé et a créé son propre fonds destiné à attirer les aides des partenaires étrangers et des Etats africains qui y ont déjà injecté douze millions de dollars. Chaque nouvelle initiative résonne comme un appel à l’aide et à la solidarité africaine.

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