La chanteuse Aya Nakamura sort son troisième album sobrement intitulé AYA, un album de r’n’b à la française qui privilégie le groove au texte.
On pourrait la jouer historique et mettre en avant que, près de 75 ans après La Vie en rose d’Édith Piaf, les hits d’Aya en ont fait la chanteuse qui représente la francophonie dans le monde. On pourrait la jouer critique facile, façon prof de français moqueur fier de sa supériorité linguistique.
Ou pire, faire le « grammar nazi » comme il en pullule sur Twitter, pour parler du nouvel album d’Aya Danioko dite Nakamura, jeune chanteuse franco-malienne de 25 ans repérée grâce au single Comportement et qui a explosé avec le tube Djadja, cumulant 140 millions d’écoutes sur Spotify.
Mais le plus simple pour parler d’AYA, son nouvel album homonyme, reste encore de l’écouter pour se faire un avis neuf. Les fans peuvent se rassurer et les haters continuer de haïr : ce troisième album qui succède à Journal intime en 2017 et à Nakamura en 2018 reste dans la même lignée, un r’n’b français qui privilégie le groove au texte, dans la grande tradition de la musique faite pour être dansée et fredonnée plutôt qu’être disséquée et analysée.
Ruptures chaotiques
Dès le titre d’ouverture Plus jamais, Aya rentre dans le vif du sujet : featuring prestige avec l’apparition de Stormzy, champion du grime britannique qui pose un couplet débonnaire sur ce titre évoquant, comme la plupart des morceaux, une rupture chaotique avec un amant décevant. Gimmicks façon mot compte triple au Scrabble, et dès les trente premières secondes le même arôme vénéneux de plaisir coupable généré par une mélodie qui se tatoue dans le cortex.
Deuxième titre, et ça sent le futur single : Tchop est un son imparable, avec son Auto-tune à volume 11, sa rapide référence à 2Pac (« All eyes on me, tu le vois bien, fais pas le gamin ») et son refrain un rien bourrin (« J’arrive dans le tchop, tchop, tchop, tu es dans le flop, flop, flop ») qu’on imaginerait bien chanté à tue-tête par une horde de fans en délire au cœur d’un pogo à l’AccorHotels Arena, si l’on n’était pas privé de concerts depuis huit mois.
Doudou, le clip aux 15 millions de vues en moins d’une semaine, pratique une subtile autodérision avec sa rime « Parle en français, sois clair » et Jolie nana, 35 millions de vues YouTube et 30 millions de streams depuis sa sortie cet été, confirme son lien de parenté avec Bella de Gims, son « Il m’a rendue bête, bête, bête » sonnant comme un écho lointain au « Rends moi bête comme mes ièps » du leader de la Sexion D’Assaut, avec une rythmique pneumatique afro analogue.
Fly est la ballade slow tempo, comme un passage obligé qui certes tranche avec le reste des compositions, mais ne sonne pas surjoué pour autant. Love de moi multiplie les répétitions, un des signes distinctifs de la chanteuse : « Ah oui, ah oui, ah oui (…) T’as beau tout faire, mais j’t’ai eu, mais j’t’ai eu, j’t’ai eu (…) Je sais très bien j’suis trop clean, clean, clean ». Avec Ça blesse et sa problématique de l’amant dépassé par une femme qui s’éloigne de lui, on retrouve le thème central des chansons d’Aya, celui d’une maîtresse femme à l’image puissante qui dévore les mâles et les recrache après consommation.
Sur La machine, on a l’impression qu’elle a emprunté à Jul son tempo house et le gimmick « J’pète les plombs/ Tu vas changer, c’est toi qu’es con » s’avère irrésistible. Mention spéciale au très sympa Nirvana, belle collection de rimes en A avec un « Mashallah » répété 22 fois. Préféré en collaboration avec Oboy, le rappeur parisien d’origine malgache, est le titre sexe de l’album. « Tu connais toutes mes positions préférées », chante Aya avec gourmandise. Sans vulgarité, mais malgré tout explicite. Joli paradoxe.
Mon chéri retrouve cette rythmique métronomique synthétique et afrocentrique un peu trop systématique. On rêverait d’entendre Aya avec un batteur funky façon Tony Thompson de Chic ou Questlove des Roots plutôt que cette entêtante machine qui donne à chaque morceau la même dynamique, mais c’est ainsi : « Formula works », « la formule ça fonctionne », comme le disait le manager de Queen dans le biopic Bohemian Rhapsody.
Pop comme populaire
Et le l’équipe de producteurs et de beatmakers qui travaille avec miss Nakamura n’est pas là pour faire du revival hip hop ou du disco à l’ancienne, mais un disque calibré pour cartonner dans la lignée des précédents, allant jusqu’au quasi-remake de Jolie nana pour le titre Hot.
De toute façon, AYA est un album tellement dans l’air du temps qu’il rendra vieux tous ceux qui ronchonnent encore face au phénomène Nakamura, une artiste qui représente la variété d’aujourd’hui, comme Sheila représentait celle des années 1960, avec ce qu’il faut de joie écervelée, de références contemporaines, de jouissance sans complexe et de tubes prêts à la consommation immédiate.
Et il convient de ne pas oublier que c’est ce genre de création, autant que les chansons à texte, qui reste dans l’histoire de la musique pop. Un terme, on ne le rappellera jamais assez, qui est le diminutif de « populaire ». Le mot définissant le mieux cette Diva à la syntaxe et au vocabulaire toujours audacieux dont la popularité aussi bien européenne qu’africaine semble partie pour durer, encore et encore.
Aya Nakamura AYA (Rec. 118/Warner) 2020