Il brandit le petit livre de la Constitution qu’il jure avoir « toujours dans la poche » devant un parterre de sénateurs et de députés au grand complet, s’empressant d’ajouter en riant : « N’ayez pas peur ! » Eclat de rire général. Pour ce rendez-vous obligé d’adresse à la nation devant le Parlement réuni en Congrès, mardi 25 avril, à Abidjan, le président ivoirien s’est payé le luxe d’un trait d’humour. Car c’est par le changement de la loi fondamentale de 2016, amendé quatre ans plus tard, qu’Alassane Ouattara avait pu briguer un troisième mandat, controversé, à la magistrature suprême en octobre 2020.
Deux ans et demi plus tard, c’est donc dans un climat qui semble plus apaisé que le chef de l’Etat a pris le temps de faire briller son bilan et, à l’issue d’une demi-heure de satisfecit, de proposer deux révisions constitutionnelles, « dans un souci d’efficacité ». La première destinée à faire coïncider les vacances parlementaires avec celles du gouvernement en août ; la seconde pour organiser les élections législatives et sénatoriales à l’issue du scrutin présidentiel.
Pas de quoi créer l’émotion, surtout après les soubresauts des précédents congrès. En 2020, le président avait annoncé qu’il ne se représenterait à la présidence avant de revenir sur sa décision, quelques mois plus tard, après la mort de son dauphin désigné Amadou Gon Coulibaly ; 2022 avait vu la reconduction de Patrick Achi à la primature et la nomination surprise de Tiémoko Meyliet Koné, l’ex-gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), à la vice-présidence de la République.
L’opposition s’est d’ailleurs étonnée que ces deux propositions de révision aient eu lieu à cette occasion. « Le dire durant ce Congrès n’était pas nécessaire, on aurait pu travailler sur ces textes au Parlement. Mais sur la forme, cela permet au président de garder la main et d’occuper l’espace public afin de montrer qu’il est capable d’assumer une continuité, une stabilité », juge Michel Gbagbo, député PPA-CI de Yopougon, et fils de Laurent Gbagbo.
« Faire campagne avant l’heure »
Le discours du président a donc avant tout été l’occasion d’égrainer à mi-mandat les réussites de son gouvernement, comme la libération de 49 soldats détenus durant près de six mois au Mali, le rapatriement des Ivoiriens fuyant la vague de racisme en Tunisie et la guerre des généraux au Soudan, mais aussi la forte la croissance ivoirienne établie à 6,7 % en 2022 et estimée à 7,2 % pour l’année 2023, ou encore les progrès en termes de sécurité alimentaire, d’électrification et d’infrastructures. Au registre des projets, Alassane Ouattara a annoncé un investissement de 365 milliards de francs CFA sur l’année 2023 (556,4 millions d’euros) dans un vaste « Plan Marshall » pour la jeunesse de deux ans, promettant de débourser 1 milliard de francs CFA par jour pour l’emploi et la réinsertion professionnelle de 1,5 million de jeunes.
Le chef de l’Etat ivoirien n’a pas fait non plus l’économie de féliciter ses ministres et son vice-président, présents dans la salle, à quatre mois des élections municipales et régionales. « C’était un exercice d’autosatisfaction, mais aussi un prétexte pour décerner des prix à ses ministres qui sont candidats aux prochaines élections locales, une manière de faire campagne avant l’heure », estime Jean Gervais Tchéidé, député PPA-CI de Bloléquin (ouest).
« Ces violences ne sont pas liées au calendrier électoral, tranche le politologue Geoffroy-Julien Kouao. Elles sont dues à la mauvaise organisation des élections et aux tentatives d’exclusion de certains candidats. Pour la présidentielle de 2025 par exemple, il faudrait plutôt résoudre dès maintenant la question d’éligibilité de Laurent Gbagbo. Son éventuelle inéligibilité pourrait être source de violences. » L’ex-président a été gracié par son rival en août 2022, plus de dix ans années après la sanglante crise post-électorale de 2010-2011, mais pas amnistié. Laurent Gbagbo, rentré en Côte d’Ivoire depuis presque deux ans, ne peut donc se présenter à aucun scrutin.