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Il était l’un des principaux opposants à Idriss Déby, l’ancien président tchadien. Le 12 octobre, Saleh Kebzabo a été nommé Premier ministre de la transition par Mahamat Idriss Déby. “Le Djely” s’interroge sur cette nomination surprise, y voyant une stratégie politique du nouveau président de la transition et un possible “reniement” pour le nouveau chef de gouvernement.
À 75 ans, Saleh Kebzabo prend la tête du gouvernement de transition au Tchad [sa nomination intervient au lendemain de la démission de l’ancien Premier ministre Pahimi Padacké et de son gouvernement].
Il a été nommé ce mercredi 12 octobre, à la suite de l’investiture, deux jours plus tôt, du général Mahamat Idriss Déby comme président de la deuxième phase de la transition, qui devrait durer deux ans [le 10 octobre, le jeune général de 38 ans a été officiellement investi président de transition du Tchad, après avoir occupé depuis le décès de son père, Idriss Déby, la fonction de président du Conseil militaire de transition (CMT)].
Très fin connaisseur de l’espace politique tchadien, dont il est un des grands animateurs depuis au moins une trentaine d’années, il devra prochainement composer un gouvernement d’union nationale, conformément aux engagements du président. Si pour le chef de l’État tchadien, le choix porté sur l’ex-opposant de Déby père est un pari à la fois sur l’ouverture et sur l’expérience, pour le leader de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) [parti d’opposition, d’obédience sociale-démocrate et fondé en 1992], la primature à son âge peut s’apparenter à un réalisme.
Même si, dans l’optique d’une probable succession dynastique à la tête du pays, on risque de lui reprocher une grosse contradiction dans son engagement, voire un certain reniement.
Récompense et expérience
Il importe de nuancer le symbole d’ouverture qu’on pourrait rattacher à la nomination de Saleh Kebzabo au poste de Premier ministre par le général Mahamat Idriss Déby Itno. Bien sûr, personne ne peut nier le fait que le leader de l’UNDR a été un farouche opposant au président Idriss Déby, tué sur le terrain de bataille en avril 2021 [dans un combat mené contre des rebelles dans le nord du pays].
Mais ce statut d’opposant, le renard politique qu’est Kebzabo l’a laissé tomber aussitôt le fils de Déby choisi pour succéder à celui-ci. Du coup, durant les dix-huit derniers mois, il a clairement été du côté du général Mahamat Idriss Déby. Par conséquent, sa nomination s’apparente davantage à une récompense qu’à une ouverture.
Toutefois, en misant sur lui, le président s’entoure d’une expérience qui peut s’avérer fort utile. N’ayant pas encore fêté ses 39 ans, le président tchadien, à la tête d’un pays sur lequel son père a régné sans partage pendant trente ans et qui est traversé par autant de lignes de fracture que de blessures, n’a pas tort de vouloir s’appuyer sur l’expérience politique et la connaissance du pays de Saleh Kebzabo.
Rompu aux intrigues et autres chausse-trappes qui font la trame de la compétition politique dans ce pays, l’ex-opposant saura éviter à la transition certains pièges auxquels cette dernière est potentiellement exposée. Il saura par ailleurs mieux aborder la frange de la classe politique tchadienne qui se montre encore méfiante.
Il pourrait même rétablir le pont avec les factions rebelles armées n’ayant pas pris part au dialogue national inclusif et souverain (DNIS) [ouvert le 20 août dernier et clôt officiellement ce 8 octobre, ce dialogue visait théoriquement à permettre de réformer les institutions et de mettre en place une nouvelle Constitution].
L’option du réalisme
Mais ce n’est pas comme si Kebzabo lui-même sort perdant de tout cela. Au contraire. On peut notamment penser qu’ayant pesé le pour et le contre il a fini par admettre qu’accepter le poste de Premier ministre relevait du réalisme.
En effet, à 75 ans, que pouvait-il espérer de mieux ? Continuer à s’opposer ? Ce n’est pas sûr qu’il en récolte le moindre bénéfice. D’autant plus que la probabilité que le fils puisse succéder au père au terme de la transition est encore plus évidente aujourd’hui.
Par ailleurs, ce n’est pas comme s’il avait encore l’énergie et la fougue de ses 40 ans. Or, mieux que quiconque, il sait ce que cela coûte de s’opposer aux Déby. Lui qui a affronté le défunt président à quatre reprises dans les urnes.
La présidence de la République lui étant de toute évidence inaccessible, il a dû se dire qu’à défaut de la maman il ne devait pas rejeter la grand-mère.
Comble de l’incohérence ?
Sur le long terme, le nouveau Premier ministre pourrait toutefois y laisser des plumes. En particulier sur le plan de sa réputation. En effet, que devrait-on dire de Saleh Kebzabo si, après s’être battu contre le père, il venait à favoriser la succession de ce dernier par son fils. Combattre la dictature du père et finir par installer la dynastie de ce dernier au sommet de l’État.
Comble de l’incohérence, non ? Or ce n’est pas ce qu’on attend d’un leader de la trempe du président de l’UNDR. À son âge et avec son expérience, Saleh Kebzabo n’est pas qu’un acteur politique. Ce n’est surtout pas un acteur politique qui doit penser à lui seul et aux privilèges qu’il peut espérer des alliances de circonstances qu’il peut nouer. Un tel leader doit s’efforcer d’incarner un symbole et une référence pour la jeune génération. Cela suppose qu’on sache s’imposer une certaine limite.
Collaborer avec Mahamat Idriss Déby, pourquoi pas ? Mais aller jusqu’à avaliser une éventuelle candidature de ce dernier à la prochaine présidentielle ? On espère que Saleh Kebzabo n’ira pas jusque-là.