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La cérémonie solennelle de lancement du dialogue politique est prévue le 20 août à N’Djamena en présence des principaux chefs rebelles du pays mais sans plusieurs opposants
Boubou blanc, turban et main sur le cœur, Timan Erdimi affichait un large sourire le 18 août sur le tarmac de l’aéroport de N’Djamena. Le chef de l’Union des forces de la résistance (UFR) a fait son grand retour au pays après 17 ans d’exil. Ce neveu de feu Idriss Déby, qui a tenté de renverser son oncle par deux fois en 2008 puis à nouveau en 2019, vivait jusqu’alors en exil au Qatar qui a abrité les derniers pourparlers de paix avec les groupes rebelles.
Trois heures plus tard, c’est un autre vieux routier du paysage politique tchadien, Mahamat Nouri, qui a atterri dans la capitale. Compagnon d’Hissène Habré dans les années 1970, ce général opposé au régime dirige l’Union des Forces pour la démocratie et le développement (UFDD). Les mouvements politico-militaires de ces deux anciens rebelles font partie de la quarantaine de signataires de l’accord de paix de Doha, le 8 août dernier.
D’autres rebelles, comme Gassim Cherif, leader d’une faction dissidente du Conseil de commandement militaire de la République (CCMSR), ont également fait leur retour pour participer au dialogue politique inter-tchadien. Il manque toutefois toujours à l’appel Mahamat Mahdi Ali, chef du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), qui a tenté de prendre le pouvoir en 2021, et le colonel Adoum Yacoub du Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN). Mais les médiateurs régionaux et internationaux ne désespéraient pas de les convaincre de venir à N’Djamena.
Au Palais rose, siège de la présidence, Mahamat Déby a salué les chances de réconciliation offertes par ce retour de figures de la rébellion. « La longue histoire du Tchad depuis son accession à l’indépendance, le 11 août 1960, n’aura été qu’une succession de confrontations meurtrières entre ses enfants, sur notre terre où ruisselle, le sang de nos parents et de nos enfants, écrit Eric Topona, journaliste à la Deutsche Welle et auteur d’un Essai pour la refondation du Tchad (L’Harmattan, décembre 2021). Les moments d’accalmie n’auront été que des répits pour mieux préparer les guerres de demain. A peine les ennemis d’hier avaient-ils fumé le calumet de la paix que, aussitôt les rideaux baissés, nous entendions tonner les canons et nous voyions, meurtris et désemparés, s’ouvrir un nouveau cycle de violences. »
« 70 % des participants appartiennent à l’ancien système, qu’ils soient politiques, militaires ou militants associatifs »
Caution. L’auteur attend de ce dialogue, qu’il soit inclusif et souverain, et pose « les fondements d’une nouvelle société tchadienne avec, à la clé, l’organisation d’élections générales crédibles et transparentes ». Sa crainte, comme celle de nombreux observateurs, est que les participants se contentent d’y élaborer une nouvelle loi fondamentale ou de toiletter l’arsenal juridique du pays et son corpus législatif afin de permettre au président de transition, Mahamat Déby, de prolonger son règne.
Parmi les groupes politiques, Wakit Tamma, une large coalition de partis d’opposition et de groupes de la société civile, a prévu de snober les pourparlers. Elle estime avoir été mise à l’écart du pré-dialogue avec les groupes armés à Doha. Elle redoute, en y participant, de servir de caution à la validation d’un processus écrit d’avance et orchestré par le pouvoir. Elle conditionne donc sa participation à un engagement de Mahamat Déby et des autres membres de la transition à ne pas se présenter à la présidentielle.
A la tête du parti Les Transformateurs, Succès Masra reproche aux autorités de transition d’avoir choisi le menu et les convives via le Comité d’organisation du dialogue national (Codni), sans tenir compte des requêtes de l’opposition. « 70 % des participants appartiennent à l’ancien système, qu’ils soient politiques, militaires ou militants associatifs, confie Succès Masra. Nous proposons de créer deux pôles, l’un composé des gens du pouvoir, l’autre des vrais acteurs de l’opposition et de la société civile (syndicats, représentants religieux, autorités traditionnelles, diaspora…) afin que l’on se mette d’accord sur les thèmes abordés, certains d’entre eux comme les politiques sectorielles pouvant faire l’objet de discussions au futur parlement pour ne pas alourdir l’agenda. »
Le leader, populaire auprès de la jeunesse, menace d’envoyer ses troupes manifester le 20 août devant le Palais du 15 janvier, où se tiendront les débats. « S’ils sont 1 400 dans la salle, nous dirons que nous voulons être aussi 1 400, poursuit-il. Et s’ils s’entêtent comme Pharaon dont le cœur a été endurci, nous serons en droit de créer un nouveau dialogue, un nouveau gouvernement, une nouvelle armée et chacun n’aura qu’à respecter le cadre juridique de l’autre. »
Plusieurs médiateurs tentent donc de convaincre l’opposition de renoncer à la politique de la chaise vide
Danger. Le boycott de l’opposition inquiète les nombreux médiateurs internationaux et régionaux qui travaillent depuis de longs mois à la réconciliation tchadienne. « Le retour dans le giron de l’Etat des mouvements politico-militaires fait de l’ombre à la classe politique traditionnelle qui se bat pour l’avènement de la démocratie, poursuit Eric Topona. Le risque est qu’ils viennent grossir les rangs d’un pouvoir qui mène ce dialogue à la seule fin de faire passer, comme une lettre à la poste, la question de l’éligibilité de Mahamat Déby à la prochaine présidentielle. C’est la raison pour laquelle les opposants souhaitent que l’on règle ce problème avant. »
D’un autre côté, ne pas participer au dialogue, c’est perdre toute voix au chapitre et laisser la tribune à tous ceux qui vont jouer en faveur du pouvoir en place. Plusieurs médiateurs tentent donc de convaincre l’opposition de renoncer à la politique de la chaise vide. Ils leur recommandent de prendre langue avec les présidents des différentes commissions thématiques du dialogue afin de peser sur les débats. « La répartition des quotas de participation au dialogue par le pouvoir a été décevante, confie l’un des médiateurs. Mais il faut aller de l’avant et dorénavant se donner les moyens de garantir une discussion ouverte. En étant bien organisée, la minorité opposante doit pouvoir faire valoir ses idées. »
Pour Eric Topona, le danger de ce dialogue est de seulement mettre du vin nouveau dans de vieilles outres alors que le pays est à la recherche de son modèle de développement et d’un contrat social depuis soixante ans. Selon lui, il devra surtout fixer les grandes lignes d’orientation du Tchad de demain afin de donner aux prochains dirigeants la légitimité pour mener les nombreuses réformes (institutions, armée, justice, bonne gouvernance) dont le pays a besoin.