Politique

La guerre en Ukraine risque d’aggraver l’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest

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La décision de la Russie de suspendre ses exportations agricoles ne sera pas sans conséquences pour la région, déjà durement affectée par les conditions climatiques, les conflits et le Covid-19.

Hausse des subventions, distributions gratuites de vivres aux populations les plus pauvres, interdiction d’exporter… Depuis la fin de l’année dernière, la plupart des gouvernements d’Afrique de l’Ouest ont déjà commencé à tirer les cartouches à leur disposition pour contenir la flambée des prix des matières premières alimentaires et énergétiques. L’objectif est d’atténuer les difficultés qu’éprouvent les populations les plus pauvres pour s’approvisionner en denrées essentielles et de prévenir les mouvements de protestation contre la vie chère.

Ont-ils les moyens de faire davantage, alors que les conséquences de la guerre en Ukraine sont à venir ? Personne n’ignore les enjeux. L’économiste en chef de la Banque mondiale, Carmen Reinhart, en a fait un résumé sans fard dans une interview à l’agence Reuters, mercredi 9 mars, évoquant ses « préoccupations pour la sécurité alimentaire » et « les risques de troubles sociaux ». Ses craintes valent pour l’ensemble du continent et le Moyen-Orient, dont la dépendance aux importations de céréales est élevée. Vendredi, à l’issue du sommet européen de Versailles, Emmanuel Macron s’est lui aussi inquiété d’une profonde déstabilisation « sur le plan alimentaire » et invité les Européens à « réévaluer une stratégie à l’égard de l’Afrique ».

Les risques sont jugés particulièrement importants en Afrique de l’Ouest, où le contexte est très dégradé. Une crise alimentaire d’une envergure sans précédent depuis dix ans est déjà là : 26 millions de personnes se trouvent en situation d’urgence alimentaire et ont besoin d’assistance, selon les évaluations des agences des Nations unies établies fin 2021 pour les 19 pays de la zone allant du Sénégal à la République centrafricaine. Un chiffre que les experts projettent à 38 millions d’ici à l’été, lorsque les populations, en grande majorité rurales, devront traverser la période de soudure, quand les greniers sont vides. Pour le seul Nigeria, 18 millions de personnes sont concernées dans la région du lac Tchad.Guerre en Ukraine : face à la hausse des prix du blé les pays africains  tentent de s'adapter

Flambée des prix

Plusieurs raisons expliquent la gravité de la situation. Dans les pays sahéliens, les récoltes de céréales ont diminué du fait des mauvaises conditions climatiques et des conflits ayant entraîné des déplacements massifs de populations. Au Niger, la production enregistre une chute de près de 40 %, au Burkina Faso de 10 %. Au Mali, la récolte de riz a baissé de 17 %.

Les ménages d’Afrique du Nord s’empressent de faire des réserves de farine, de semoule et d’autres produits de base, alors que les prix des denrées alimentaires augmentent à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux pays exportateurs de blé dans la région.

Cette ruée est d’autant plus grave qu’elle intervient quelques semaines avant le début du mois sacré du Ramadan, au cours duquel les musulmans rompent traditionnellement le jeûne de l’aube au crépuscule par des repas familiaux copieux.

La Tunisie, le Maroc et la Libye, ainsi que plusieurs autres pays arabes, importent une grande partie de leur blé d’Ukraine et de Russie.

Certains craignent que l’invasion russe n’entraîne la famine, le souvenir de la hausse des prix des denrées alimentaires ayant joué un rôle dans plusieurs soulèvements arabes au cours de la dernière décennie.

Rayons vides

Dans un supermarché de la capitale tunisienne, les rayons étaient vides de farine ou de semoule, et seuls trois paquets de sucre trônaient sur une étagère près d’un panneau indiquant : « Un kilo par client, s’il vous plaît« .

Les responsables des magasins ont déclaré que le problème était dû à des « achats de panique« , et non à des pénuries. Les achats en gros avant le Ramadan, qui devrait commencer début avril cette année, sont courants dans les pays musulmans. Mais certains disent que la guerre en Ukraine a déclenché une frénésie d’achats.

Peur de la guerre

Hedi Baccour, du syndicat tunisien des propriétaires de supermarchés, a déclaré que les ventes quotidiennes de semoule – un aliment de base en Afrique du Nord utilisé dans les plats de couscous – ont bondi de « 700 % » ces derniers jours.

Les ventes de sucre ont été multipliées par trois, les Tunisiens faisant des réserves de produits alimentaires de base, a déclaré Hedi Baccour, qui a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de pénurie alimentaire.

Le boulanger Slim Talbi dit avoir payé la farine trois fois plus cher que par le passé, « bien que les effets réels de la guerre (Russie-Ukraine) ne nous aient pas encore touchés« .

La Tunisie importe d’Ukraine près de la moitié du blé tendre utilisé pour la fabrication du pain. Les autorités affirment que le pays d’Afrique du Nord dispose de suffisamment de réserves pour tenir trois mois.

La Libye, riche en pétrole, obtient environ 75 % de son blé de Russie et d’Ukraine. Le Maroc est également très dépendant de la même source d’approvisionnement.

Récession, pandémie, reprise

Les prix des denrées alimentaires étaient en hausse en Afrique du Nord avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine il y a plus de deux semaines.

Le responsable marocain Fouzi Lekjaa a mis en avant une reprise économique mondiale après un marasme induit par une pandémie.

Le changement climatique

Mourad, 37 ans, un acheteur de la capitale marocaine Rabat, a déclaré que le changement climatique et la sécheresse – la pire dans son pays depuis des décennies – étaient également à blâmer.

Pour maintenir des prix abordables et éviter une répétition des émeutes du pain qui ont éclaté dans les années 1980, la Tunisie subventionne des produits de base comme le sucre, la semoule et les pâtes. Au cours de la dernière décennie, elle a fixé le prix d’une baguette de pain à six cents américains. L’Algérie prévoit de supprimer les subventions sur les produits de base, mais ne l’a pas encore fait.

Subvention des carburants

Après une grève des chauffeurs routiers cette semaine, le Maroc a déclaré qu’il envisageait de subventionner le carburant dans le secteur « pour protéger le pouvoir d’achat des citoyens et maintenir les prix à un niveau raisonnable« , selon le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas.

En Libye, qui s’est retrouvée ce mois-ci avec deux premiers ministres rivaux, ce qui a fait craindre un regain de violence, les prix des denrées alimentaires ont également atteint des sommets.

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