Joe Biden ne se représentera pas. Après des semaines de suspense, la décision est enfin tombée, et sa vice-présidente, qu’il a annoncé soutenir, passe de l’ombre à la lumière pour mener la campagne des démocrates. Celle qui a passé les trois dernières années dans l’ombre du président n’a pas la carrière législative de ses concurrents, mais elle est fière de son histoire et de son parcours.
C’est dans la baie de San Francisco, dans la ville d’Oakland, en Californie, que tout commence. Son foyer, véritable bouillon de culture, lie héritage indien du côté de sa mère Shyamala Gopalan et jamaïquain de par son père, Donald Harris. Kamala Devi Harris est par ailleurs nommée en référence à la déesse hindoue de la prospérité. Ses parents se séparent alors qu’elle a 7 ans, et c’est de sa mère qu’elle se sent la plus proche. « Elle était déterminée à tout faire pour que ma sœur et moi devenions des femmes afro-américaines confiantes et fières », écrit-elle dans son autobiographie.
« Progressiste, mais plus compétente »
Dans son enfance, Kamala Harris est bercée par son héritage maternel. Son grand-père, qui s’est battu pour l’indépendance de l’Inde, et sa grand-mère, une militante pour l’accès aux moyens de contraception, lui ont donné des conseils et de quoi la guider vers son ambition.
La science politique et l’économie lui tendent d’abord les bras, avant de se plonger dans des études de droit. En 1990, elle rejoint le bureau du procureur du comté d’Alameda à Oakland, avec en tête l’envie de changer le système de l’intérieur selon Politico . Ainsi, une fois aux côtés du procureur du district de San Francisco, elle défend l’idée que les femmes sont des victimes de la prostitution plutôt que des criminelles.
Kamala Harris se présente en 2003 pour la première fois à une élection, en tant que procureure du district, contre son ancien patron, Terence Hallinan. Selon Politico, elle affirme alors être « progressiste, comme (lui), mais nous sommes compétents, ce qu’il n’est pas » . Avec 56,5 % des voix au second tour, elle devient la première femme noire à être élue procureure de district en Californie. Son élection coïncide avec celle de Gavin Newsom au poste de maire de San Francisco. Aujourd’hui gouverneur de l’État, il est un ami de longue date.
En l’espace de trois ans, le taux de condamnation dans son district passe de 52 à 67 %. En 2004, quand elle refuse de demander la peine de mort contre l’homme qui a assassiné le policier de San Francisco, Isaac Espinoza, elle s’attire la colère des syndicats de police. Toutefois, elle refuse par la suite à deux reprises de soutenir des initiatives de vote qui auraient interdit la peine de mort.
En 2010, elle affiche son soutien à une mesure de San Francisco qui punit les parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école. Une décision critiquée car perçue comme trop dure.
Kamala Harris est élue procureure générale de l’État de Californie en 2010, après une élection des plus serrées : il faut attendre trois semaines pour obtenir les résultats, et officialiser sa victoire avec 0,8 point d’avance sur Steve Cooley (qui avait pourtant déclaré être le vainqueur).
À ce poste, elle crée notamment « Open Justice », une plateforme virtuelle permettant au grand public d’accéder aux données de la justice. Certains critiquent toutefois sa politique, jugée pas assez ferme sur les violences policières. En 2014 puis en 2015, elle refuse de lancer des enquêtes après la mort de deux jeunes afro-américains tués par des tirs policiers.
Tact et aisance orale
Le capitole de Washington l’accueille pour la première fois en 2016, elle qui y entre comme sénatrice. Kamala Harris se fait notamment connaître pour son tact et ses questions directes lors des séances d’auditions sénatoriales des enquêtes sur les interférences russes en 2017, puis lors du processus de confirmation de Brett Kavanaugh, désigné par Donald Trump pour la Cour suprême un an plus tard.
Elle décide de se présenter à la primaire du Parti démocrate en 2019, et se fait remarquer lors du premier débat. Elle s’attaque directement à Joe Biden, et à sa défense dans les années 1970 du busing. Cette pratique visait à promouvoir la diversité sociale dans les établissements scolaires en envoyant les enfants dans des écoles différentes de celles de leur quartier. Kamala Harris a notamment évoqué son histoire personnelle, ce qui lui a valu une petite hausse dans les sondages, néanmoins de courte durée.
Sortir de l’ombre de Joe Biden
Dès décembre 2019, avant même les premiers caucus, l’ancienne procureure met un terme à sa campagne. Si elle est majoritairement restée flou sur les sujets majeurs, sa position sur la politique de protection médicale, qu’elle n’excluait pas de privatiser, et sa politique de criminalisation de la justice n’ont pas plu à l’aile gauche du Parti démocrate. C’est pourtant elle, en août 2020, que Joe Biden désigne comme colistière, elle qui l’avait présenté comme étant celui qui pouvait « unir le peuple ».
Son passage en tant que vice-présidente des États-Unis n’aura pas été le plus marquant. En même temps, cette position est souvent qualifiée d’ingrate, et rare sont ceux qui parviennent à sortir de l’ombre. Jusqu’à présent, Kamala Harris n’a pas réussi à imposer sa marque.
Comme elle n’a pas eu de véritable carrière législative, les électeurs américains ont bien du mal à savoir clairement la ligne que l’ancienne sénatrice pourrait défendre, comme l’illustrait un long portrait réalisé par le New York Times . D’autant plus que Joe Biden lui a imposé de défendre sa ligne politique, notamment sur la question migratoire, ou la reléguait aux tâches les moins gratifiantes.
À moins de quatre mois du 5 novembre 2024, Kamala Harris aura peu de temps pour expliquer clairement aux électeurs étasuniens qui elle est, et ce qu’elle défend.