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À la CPI, les dix-sept minutes où l’avenir de Laurent Gbagbo a basculé

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Sept ans après son arrestation et son transfèrement à la Cour pénale internationale, l’ancien président ivoirien a été acquitté mardi 15 octobre, au terme d’une audience éclair.

Comme un boxeur et son coach qui entament leur ultime combat, Charles Blé Goudé et Claver N’Dri, l’un de ses avocats, se tapent dans la main, puis se frappent le poing. Est-ce pour s’encourager ? Se donner de la force ? Mardi 15 janvier, il est 11 heures passées d’une poignée de secondes dans la salle d’audience principale de la Cour Pénale Internationale (CPI), à La Haye, au Pays-Bas : ces combattants montent sur le ring.

Peter Dejong/AP/SIPA

Au-dessus d’eux, la galerie du public est quasi pleine, c’est rare. Des diplomates dont l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à La Haye sont là, des journalistes aussi, mais surtout quelques dizaines d’inconditionnels de Laurent Gbagbo et de son ancien ministre de la Jeunesse ont fait le déplacement. Parmi eux, le directeur de campagne du président ivoirien en 2011 et oncle de l’actuel Premier ministre, Malick Coulibaly, ou encore son ancien conseiller, Bernard Houdin.

Masque impassible

Comme au théâtre, le rideau qui sépare la galerie de la salle d’audience vient de s’ouvrir. Les accusés s’installent. Veste grise, chemise bleue et cravate pour Charles Blé Goudé. Laurent Gbagbo a choisi un costume bleu marine. L’ancien président jette un coup d’œil au public, mais il ne fait pas un signe. Cherche-t-il des soutiens, des amis ? Rien chez lui ne trahit un soupçon de nervosité, d’impatience ou de stress. Alors que les juges entrent, il reste impassible. Il le sera tout au long de l’audience.

Il le sait pourtant, l’instant est capital. Près de huit ans après son arrestation, l’air hagard, la chemise à peine boutonnée sur son débardeur blanc, dans sa résidence présidentielle de Cocody, sept ans après son transfèrement une nuit glaciale de novembre à la CPI, trois années après le début de son procès pour crimes contre l’humanité, les juges de la CPI doivent dire s’ils ont décidé de l’acquitter, comme le demande la défense. Après 231 journées d’audience et les auditions de 82 témoins, les avocats de l’ancien président et de son co-accusé martèlent que le dossier est bien trop faible.

Le 11 avril, des images de l’arrestation de Laurent Gbagbo sont diffusées à la télévision ivoirienne AP/Sipa.

Historique, la décision tient en quelques mots. « À la majorité, les juges ont décidé que le procureur n’a pas démontré qu’il existait un plan commun destiné à maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir », déclare le président, Cuno Tarfusser. La galerie frémit, certains visages crispés laissent apparaître des sourires. « Le Procureur ne s’est pas acquitté des charges de la preuve », poursuit le juge. À la majorité de deux voix contre une – la juge Herrera Carbuccia a exprimé une opinion dissidente -, la Cour conclut qu’elle « fait droit aux demandes d’acquittement sur l’ensemble des charges. »

Tempête sur la CPI ?

Dans le public, la joie tant espérée explose, on se lève, on s’embrasse malgré l’interdiction de faire le moindre bruit. La victoire est immense mais dans la salle d’audience, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé restent de marbre.

Il faudra attendre encore quelques instants et la sortie des juges pour que l’hystérie s’empare de l’univers ouaté de la CPI. Dans le public, on crie « Jésus ! », « Au revoir la CPI ! », « Gbagbo, Président ! » et l’on assure qu’on y a toujours cru. Beaucoup s’enlacent, des femmes pleurent, l’une d’elle s’évanouit.

À deux ans de l’élection présidentielle, chacun comprend que cette décision va bouleverser la donne politique en Côte d’Ivoire. Moins d’un an après l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, beaucoup se disent aussi qu’elle va ébranler une Cour pénale internationale déjà très critiquée. « Cela va être la tempête ! », lâche un avocat dans un couloir de l’immeuble de verre. Déjà, des interrogations surgissent sur les éventuelles faiblesses du travail d’enquête du Procureur de la Cour pénale internationale. La défense, elle, commence par se féliciter de « l’indépendance et de l’impartialité des juges. » « Le chemin fut long et difficile », lâche maître Emmanuel Altit, l’avocat de Laurent Gbagbo, estimant qu’il est encore trop tôt pour évoquer l’avenir immédiat de son client.

De quelques jours à quelques semaines

Quand Laurent Gbagbo sera-t-il effectivement libéré ? Pourra-t-il rentrer en Côte d’Ivoire ou devra-t-il rester en Europe ? L’affaire n’est pas encore close. Annoncée, la remise en liberté de l’ancien président et de Charles Blé Goudé a été aussitôt suspendue. Elle sera débattue dès mercredi 16 janvier et pourrait prendre de quelques jours à quelques semaines. Le procureur doit décider s’il veut faire appel, et des consultations avec les États susceptibles d’accueillir les ex-accusés vont avoir lieu.

La partie n’est pas terminée, mais Laurent Gbagbo a finalement laissé paraître sa joie. Après dix-sept minutes d’une audience éclair lors de laquelle il vient d’être acquitté, il s’est levé et a pris Charles Blé Goudé dans ses bras. Son destin vient de basculer.

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