Politique

Des travailleurs sans papiers occupent une salle de fitness à Paris

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Huit salariés d’une société de nettoyage, soutenus par le syndicat CGT, réclament le paiement de leurs congés payés et leur régularisation.

« J’ai trouvé quelqu’un (…) A quelle heure vous voulez qu’il commence ?

– A 14 heures, c’est bien (…) Il a les papiers d’un copain, non ?

– Ouais.

– D’accord, OK. Tu lui dis que moi, je le déclare. Par contre tu lui dis bien que ses congés payés, je ne les lui paye pas, d’accord. Et tu lui fais signer tout de suite une lettre de démission, sans date. (…) OK, bon ben nickel, super. 

Madigundo Kante a trouvé un contrat à durée indéterminée (CDI). Ce Malien de 31 ans a commencé à travailler pour la société de nettoyage BSL Propreté en avril. Quatre heures par jour, du lundi au samedi, il fait le ménage dans une salle de fitness Keep Cool du 9arrondissement de Paris. Les propos échangés au moment de son embauche entre son ancien chef d’équipe et le patron de BSL Propreté – dont nous avons pu vérifier l’authenticité – montrent qu’il a été embauché sous une fausse identité et dans des conditions qui ne respectent pas le code du travail.

Lundi 15 octobre, pour la première fois de sa vie, Madigundo Kante s’est mis en grève, avec sept autres salariés de BSL Propreté, soutenus par le syndicat CGT. Maliens ou Mauritaniens, sans titres de séjour, ils sont tous techniciens de surface en CDI dans cette entreprise et travaillent dans des salles de sport parisiennes ou de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), des groupes Keep Cool et L’Appart.

« On bosse ici, on vit ici, on reste ici », ont entonné les huit salariés en grève, réunis à l’intérieur de la salle Keep Cool du 9e arrondissement, qu’ils occupent depuis lundi 15 octobre 13 h 30. Face à eux, les clients de l’enseigne de fitness, qui vante le sport « qui rend enfin heureux » et « la forme sans la frime »,continuaient de suer, imperturbables, sur des tapis de course et des vélos elliptiques.

« Abus de vulnérabilité organisé »

« Nous revendiquons la réévaluation de leurs contrats, en adéquation avec leur charge de travail, le paiement de leurs congés payés et des jours fériés travaillés et les documents nécessaires à leur régularisation, explique Marilyne Poulain, du collectif migrants de la CGT. Tous sont éligibles à l’admission exceptionnelle au séjour au titre du travail. »

La CGT a également saisi l’inspection du travail. Lundi matin, les salles de sport dans lesquelles travaillent les grévistes ont fait l’objet de contrôles de l’administration, qui a pu constater les situations d’emploi d’étrangers sans titre.

Joint lundi, l’employeur BSL Propreté n’a pas encore répondu aux sollicitations du Monde. L’entreprise avait ignoré le courrier de la CGT envoyé en mai, dans lequel le syndicat réclamait une rencontre pour régulariser la situation des salariés.

L’activité de nettoyage est considérée comme un métier en « tension », écrivait la CGT à BSL, et cela autorise à demander la régularisation des salariés « sans vous exposer »« Il y a des patrons qui doivent être rassurés, fait valoir Marilyne Poulain. Mais là, on est dans une situation d’abus de vulnérabilité organisé. »

« Je suis très choquée, je viens d’apprendre la situation », a réagi, lundi, la direction des ressources humaines (DRH) de Keep Cool, interrogée par Le Monde.

Bakary Timera, un Mauritanien de 43 ans, installé en France depuis trois ans et employé de BSL Propreté depuis plus de deux ans et demi, n’a jamais pu prendre de vacances. Du lundi au samedi, il fait le ménage, le matin de 6 heures à 8 heures et l’après-midi entre 14 heures et 16 heures, dans la salle Giga Gym de Saint-Denis.

Ladji Timera, un Mauritanien de 34 ans qui travaille dans les 13e et 19ème arrondissement de Paris, n’ose plus réclamer le paiement des jours fériés travaillés. « Si je mets l’employeur au pied du mur, il va me virer », justifie-t-il. Aussi, il ne s’est pas plaint lorsque BSL Propreté a diminué de deux heures son temps de travail quotidien.

« Aucune inclusion possible »

Aly Gandega, un Mauritanien de 33 ans, qui travaille depuis trois ans et demi dans deux salles de sport du 13e arrondissement, rapporte qu’il a dû utiliser trois alias différents depuis qu’il a commencé à travailler pour BSL Propreté. Le recours aux documents d’identité d’une connaissance ou d’un parent, en échange de la réversion d’une partie du salaire à l’alias, est un moyen fréquemment utilisé par les personnes sans titre de séjour pour obtenir un contrat de travail et des bulletins de salaire, qui sont autant de preuves d’une présence et d’une activité rémunérée en France, en vue d’une régularisation.

A chaque fois qu’ils changent d’alias, les salariés de BSL Propreté signent un nouveau contrat. En décembre 2017, Aly Gandega rapporte que son employeur lui aurait demandé de signer une lettre de démission non datée à cette occasion. « Comme ça, si tu fais une erreur, tu dégages, résume-t-il. J’ai refusé. Du coup, je n’ai toujours pas signé de nouveau contrat. »

Outre qu’ils pâtissent de conditions de travail précaires, les salariés de BSL Propreté expliquent que leur vie entière est entravée par leur absence de titre de séjour. « Quand tu es sans papiers, tu n’es pas libre, c’est tout », lâche Ladji Timera, dont la femme et les trois enfants sont restés en Mauritanie. Lui est logé chez son frère dans le Val-de-Marne. « Tu rentres chez toi dès que tu as fini le travail, tu évites de sortir pour ne pas être contrôlé par la police. Tu es en souffrance. »

Dépendant de ceux qui veulent bien l’héberger, Diake Gassama, l’un des grévistes, change ainsi fréquemment de logement, baladé entre Aulnay-sous-Bois, Bobigny et, plus rarement, Paris. Ce Malien est arrivé en France il y a treize ans.

« Sans régularisation, il n’y a aucune inclusion possible dans la société », dit Marilyne Poulain. Chaque semaine, la permanence parisienne de la CGT accueille une centaine de travailleurs sans papiers en quête d’une régularisation. « Avec l’hôtellerie-restauration et le bâtiment, le nettoyage est l’un des secteurs qui emploie le plus de travailleurs sans papiers car il n’y a pas besoin de qualification et ce sont des horaires décalés, observe la syndicaliste. Ce sont les basses besognes les moins attractives. Ces personnes devraient pouvoir s’insérer. »

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