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Katumbi, Fayulu, Mukwege… Face à Félix Tshisekedi, un « Genève bis » est-il possible ?

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En RDC, à l’approche du scrutin présidentiel de décembre, les (très nombreux) prétendants persisteront-ils à agir en solo ou joueront-ils la carte de la candidature unique ?

C’était sans doute l’un des secrets les moins bien gardés de la politique congolaise. Le 16 décembre 2022, après des mois de tergiversations sur son avenir au sein de la majorité, Moïse Katumbi a mis fin au suspense et a officialisé, aux micros de RFI et de France 24, sa candidature à l’élection présidentielle, censée se tenir le 20 décembre 2023. Une candidature « définitive », a-t-il assuré une semaine plus tard à Jeune Afrique, confirmant ainsi son intention de ne se ranger derrière aucun autre candidat.

Pléthore de candidats

Outre Katumbi et Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession, Matata Ponyo Mapon, Martin Fayulu, Jean-Marc Kabund (actuellement en prison), Adolphe Muzito, Franck Diongo, Lisanga Bonganga et, plus récemment, Jean-Claude Muyambo Kyassa – un proche de Katumbi – ont annoncé leur intention de concourir.

C’est aussi le cas du député Delly Sesanga, ancien allié de Moïse Katumbi et membre du G13, une plateforme qui a réclamé des réformes électorales, qui se présente pour le compte de sa formation politique, Envol.

D’autres pourraient encore leur emboîter le pas. Le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), de Joseph Kabila, cherche encore à asseoir sa stratégie, mais certains cadres plaident pour qu’un candidat soit désigné au plus vite. L’ex-président de la Commission nationale électorale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa, réfléchit lui aussi à une éventuelle participation.

« L’accord de Genève était mal né »

Cette inflation de candidatures n’a en soi rien de nouveau : 33 prétendants s’étaient présentés sur la ligne de départ en 2006, 11 en 2011 et 21 en 2018. Par ailleurs, nombre de ces candidatures en sont encore au stade de la déclaration d’intention et sont surtout destinées à négocier de futurs soutiens. Il faudra attendre le mois de septembre pour savoir quels dossiers seront effectivement déposés et retenus.

« Lors des dernières élections, la quasi-totalité des candidats [a réalisé des scores compris] entre 0% et 1%. Reste que la logique demeure la même : depuis le passage à une élection à un tour, en 2011, gagner la présidentielle tout seul s’apparente, pour l’opposition, à une mission quasi-impossible. Aujourd’hui, nous sommes trois ou quatre à pouvoir peser », estimait Martin Fayulu, leader de Lamuka, la plate-forme d’opposition, lors d’une interview à Jeune Afrique, en octobre 2022.

En 2018, l’idée d’une candidature unique pour battre Joseph Kabila avait pour la première fois poussé les principales figures de l’opposition à s’entendre sur un nom. L’accord n’avait tenu que vingt heures. De quoi couper toute envie de renouveler l’expérience ?

« L’accord de Genève était mal né. On s’est entendus sur le rejet de Kabila, pas sur un programme », tacle Adolphe Muzito, aujourd’hui en froid avec son allié Martin Fayulu. « Au regard de la complexité démographique de la RDC, il est quasi-impossible qu’un leader gagne seul. La formation d’une coalition s’impose. Reste à savoir s’il est opportun d’en parler dès maintenant ou s’il faut se concentrer d’abord sur les réformes », nuance Devos Kitoko, secrétaire général de l’Engagement des citoyens pour le développement (ECiDé), le parti de Martin Fayulu.

« Il ne faut pas oublier qu’à l’époque ni Bemba ni Katumbi n’avaient pu se présenter. Auraient-ils accepté de se ranger derrière un tiers s’ils avaient pu concourir ? Comme 2018, 2023 sera une bataille d’ego », estime l’un des participants de la réunion de Genève.

« Désunion »

L’heure est donc aux tractations en coulisses. À moins d’un an de la date prévue par la Ceni – calendrier qu’une partie de l’opposition juge irréaliste –, aucun candidat majeur n’évoque, pour l’instant, un possible désistement. À chacun son argument. Martin Fayulu estime qu’il ne peut « décider à la place du peuple qui l’a désigné candidat ». Moïse Katumbi affirme, de son côté, qu’il « ne se retirera [au profit de] personne ».

Au sein de la majorité, les lieutenants de Tshisekedi observent ce qu’ils perçoivent comme une forme de « désunion » de l’opposition. « Katumbi est sur le devant de la scène depuis plus de quinze ans, mais n’a jamais pu se présenter, analyse ainsi un poids lourd de l’Union sacrée. S’il n’y va pas cette année, il lui faudra attendre 2028. Fayulu veut sa revanche et aura du mal à y renoncer. Le PPRD aura, lui aussi, du mal à ne présenter personne pour la première fois depuis sa création. »

Pourtant, les discussions entre ces différentes composantes se poursuivent. Si, dans l’entourage de Moïse Katumbi, un désistement semble exclu, certains de ses lieutenants ne cachent pas leur ambition d’arracher le soutien de Fayulu, l’ex-candidat de Lamuka. D’autres se demandent si la réconciliation entre Katumbi et Kabila n’est pas l’esquisse d’un rapprochement entre les anciens frères ennemis du Katanga.

Après Lamuka, une nouvelle coalition ?

Mais l’initiative qui semble pour le moment se rapprocher le plus d’une tentative d’union est venue d’ailleurs. Le 26 décembre 2022, dans une déclaration commune aussi inattendue que commentée, le Prix Nobel Denis Mukwege, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon et Martin Fayulu ont conjointement dénoncé un « déficit criant de leadership et de gouvernance venant d’un régime irresponsable et répressif ». Cette charge inédite émanant d’au moins deux candidats déjà déclarés est venue alimenter les spéculations sur une potentielle union entre ces trois personnalités.

Fayulu et Mukwege entretiennent de bonnes relations depuis de nombreuses années. Quant à Fayulu et à Matata Ponyo, ils ont affiché leur bonne entente devant les caméras à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois. À la fin de 2022, lors de son interview à Jeune Afrique, le leader de Lamuka ouvrait déjà la porte à une alliance avec l’ex-Premier ministre. « S’il voit dans Lamuka quelque chose qui puisse lui correspondre, nous avons des structures, au sein de la coalition, pour trancher cette question », expliquait-il alors.

Cette perspective demeure d’actualité, glisse un lieutenant de Fayulu, pour qui « la formation d’une nouvelle coalition n’est pas non plus à exclure » – Lamuka n’étant plus qu’une coquille vide, dans la pratique, depuis que ses leaders, Adolphe Muzito et Martin Fayulu, ont pris leurs distances.

« Ils se parlent au téléphone »

Est-ce suffisant pour imaginer un front commun ? « Aujourd’hui, notre réflexion porte sur le combat pour la transparence électorale. On ne veut pas envoyer l’un de nous à l’abattoir lors du prochain scrutin », assure Devos Kitoko, qui confirme ainsi que les pourparlers se poursuivent entre Fayulu, Matata Ponyo et Mukwege. « Ils ont des contacts réguliers, ils discutent souvent au téléphone. Ce sont des discussions informelles, il n’y a pas de structure de coordination pour l’instant », poursuit-il.

La candidature de Matata Ponyo reste suspendue à l’issue de la procédure judiciaire dont il fait l’objet. Après s’être déclarée incompétente pour juger l’affaire du détournement présumé de fonds publics liés au projet de Bukanga Lonzo – dans lequel plus de 280 millions de dollars ont été engloutis –, la Cour constitutionnelle s’est finalement ressaisie du dossier et, dans un arrêt du 18 novembre 2022, s’est déclarée habilitée à le juger. L’ex-Premier ministre dénonce une forme d’ « acharnement politique » destiné, dit-il, à le punir d’avoir refusé de rejoindre l’Union sacrée. Il n’empêche : cette procédure fait planer une incertitude sur son avenir politique à court terme.

L’hypothèse d’une candidature de Denis Mukwege a, en revanche, gagné en crédibilité. Mondialement respecté pour son travail dans l’est de la RDC, le gynécologue, Prix Nobel de la Paix en 2018, a ouvert la porte à une éventuelle participation en 2023, affirmant que, « si le peuple prend conscience et s’organise », il « pourra considérer son appel ». En juillet dernier, un collectif d’intellectuels congolais avait déjà appelé à sa candidature.

L’entourage de l’intéressé, lui, demeure évasif. « Il n’ira que si toutes les conditions sont réunies », glisse l’une de ses interlocuteurs. « Il faut qu’il dispose des soutiens politiques nécessaires pour éviter une cacophonie et, surtout, que le processus soit suffisamment transparent pour qu’il puisse engager sa réputation ».

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